Big fish

Naissance de l’Odyssée.

Piètre connaisseur des films de Tim Burton, lorsque j’ai l’occasion d’en regarder un, je me laisse pourtant chaque fois prendre par un ton qui me semble original et par un certain charme onirique qu’on ne doit pas retrouver bien souvent dans le cinéma des dernières décennies. C’est en tout cas là un cinéma qui a l’esprit d’enfance et qui rassemble avec talent les meilleures recettes des contes extraordinaires qui construisent l’imaginaire de tous les enfants du monde. Il me semble en effet, pour avoir dévoré, il y a bien longtemps toute la série des Contes et légendes de chez Fernand Nathan que sur tous les continents et au milieu de toutes les coutumes, les enfants sont fascinés par le mélange (en quantités variables, il est vrai) du merveilleux, du magique et du macabre, surtout lorsque ces ingrédients sont rehaussés de beaucoup de couleurs et que les histoires relatées se terminent bien (en tout cas pour le héros et la plupart de ses amis ; mais on peut perdre un peu de monde au passage).

Donc Ed Bloom (Ewan McGregor en jeune homme, Albert Finney en homme âgé) a, toute sa vie, autour de lui et à ses proches mêmes raconté de fabuleuses histoires, où il a mêlé en proportions capricieuses, réalité, songerie, invention pure et grand talent pour enchevêtrer tout cela et fasciner son auditoire. Sauf son fils, qui est un jeune homme point désagréable, mais très sérieux, qui, au moment où s’engage le film, est en train de se marier avec la gracieuse Joséphine (Marion Cotillard) et ne supporte plus que son père raconte une nouvelle fois devant les invités séduits par sa faconde l’histoire du gros poisson qu’il appâta avec son alliance d’or massif qu’il eut ensuite bien du mal à récupérer. Sans qu’il soit aussi péteux et désagréable, Will Bloom (Billy Crudup) m’a fait un peu penser à Luciano (Maurizio Scattorin), le fils austère de Giorgio Perozzi (Philippe Noiret) dans Mes chers amis : identique incapacité de l’un et l’autre rejeton de comprendre l’extrême fantaisie de leur père.

Au fait, et dût paraître hardie la comparaison, le talent d’inventeur, de grossisseur de la réalité d’Ed Bloom m’a rappelé le plus fabuleux conteur romanesque du siècle dernier, Jean Giono qui, dans les conversations courantes tout autant que dans les entretiens qu’il accordait aux journalistes ou admirateurs venus l’interviewer pouvait donner à ses interlocuteurs des indications absolument contradictoires et inconciliables (et d’ailleurs Giono a presque mis en scène cette étrange faculté dans un de ses récits les plus brillants et les plus énigmatiques, Les âmes fortes (1949) dont un nommé Raoul Ruiz, habituel massacreur de chefs-d’œuvre littéraires (également Le Temps retrouvé d’après (!!!) Marcel Proust) a donné en 2001 une bien mauvaise adaptation ).

Les fantasmagories d’Ed Bloom prennent corps, s’échafaudent, s’entrelacent comme des sarments de vigne en même temps que, le long du film, de brèves incursions dans le temps présent montrent le vieil homme usé, mourant, entouré de son fils, de sa belle-fille enceinte et de sa femme aimante, Sandra (Jessica Lange, magnifique). Les inventions sont brillantes, souvent très gracieuses comme celle du village idéal de Spectre où l’herbe est si douce qu’on y vit pieds nus, dans une éternelle gaieté. Voilà qui rappelle aussi un peu des films comme The Truman show ou Pleasantville qui montrent une sorte d’image idéale de l‘American way of life, à base de maisonnettes impeccables et de voisins joviaux.

C’est bien sympathique à regarder. Davantage ? Ce serait trop dire. De belles images (Ed au milieu d’un champ de jonquilles, fleur préférée de sa fiancée), des inventions farfelues (les fausses sœurs siamoises, en fait jumelles, le patron du cirque, Amos (Danny DeVito) qui est en fait un loup-garou gentil), de bonnes idées. Mais, pour des adultes, c’est vraiment comme un conte de fées : on ne peut pas se contenter de ça.

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