Bonjour tristesse

Colombine à Saint Tropez.

Françoise Sagan, qui était un grand écrivain, n’est pas si mal adaptée que ça au cinéma ; d’ailleurs, d’emblée, dès la révélation du talent de cette jeune femme, en 1954, les producteurs et les réalisateurs ont compris qu’ils pouvaient faire pièce sur le succès de scandale entraîné par ces récits vrais comme la vie, mais si éloignés du conformisme moraliste ambiant. C’est ainsi que Bonjour tristesse, le premier roman, a été filmé par Otto Preminger en 1957 juste avant le deuxième, Un certain sourire, par Jean Negulesco en 1958. Il y aura, d’ailleurs une dizaine de films tirés de ces histoires tristes, parmi lesquels on doit signaler la très réussie Chamade d’Alain Cavalier en 1968.

Otto Preminger a un peu trop tiré vers le côté scandaleux et presque sulfureux ce qui est, somme toute, l’histoire d’une très jeune fille (car, en 1954, on est une très jeune fille lorsque l’on a 17 ans), d’une gamine, donc, qui ne veut pas que qui que ce soit puisse lui prendre son père, s’immiscer entre son père et elle, parce qu’il est pour elle une sorte de héros, de chevalier, de modèle exceptionnel et qu’elle n’a pas encore compris que les oisillons doivent un jour prendre leur envol.

De cette histoire somme toute assez classique, Preminger tire une sorte de mélodrame à tendances incestueuses, tendances informulées, bien sûr, mais parfaitement claires. Je ne dis pas que dans la relation d’une fille à son père il n’y ait pas un sentiment exclusif et sans doute un peu trouble. Trouble facilement surmonté dans la quasi totalité des cas, lorsque les corps juvéniles commencent à s’émouvoir pour des réalités charnelles plus adaptées. Mais le réalisateur, qui manque de finesse et de subtilité dans la plupart de ses films et les conduit, grâce à une certaine maîtrise technique, avec de bien lourds sabots, veut absolument donner à son public étasunien sa ration de scandale de provenance européenne.

Il filme donc sans subtilité une société purement hédoniste où l’exclusive activité des hommes et des femmes mis en scène est le flirt, la duperie, la tromperie et l’alcoolisme mondain. C’est vraiment un peu trop rester à la surface des choses, même si le récit de Françoise Sagan décrit, de fait, ce monde sans pitié, enthousiasme ou transcendance. Des gens chics, des soirées mondaines, de belles demeures agréablement décorées, des voitures rapides aux courbes séduisantes, des propos superficiels, la futilité arborée.

Dans le film, où la réalité du présent (filmée en noir et blanc) et les flash-backs (filmés en couleurs) s’entrecroisent, se déroule une histoire d’une grande simplicité : Cécile (Jean Seberg), qui se veut complice de son séduisant et séducteur père Raymond (David Niven), fait mieux que s’accommoder des innombrables maîtresses de son père, notamment de la favorite en cours, Elsa (Mylène Demongeot) ; ceci d’autant qu’elle est elle-même assez parfaitement rouée pour jouer son rôle au milieu des jeunes gens qui tentent de la séduire. Mais tout change lorsque survient dans le microcosme Anne (Deborah Kerr), qui est d’un autre niveau, d’une autre trempe que les habituelles oiselles dont Raymond, le père, se repaît.

La jeune Cécile ne supporte pas l’idée même que son père va lui être arraché, d’autant qu’Anne se considère déjà comme sa mère, l’incite à travailler (elle a échoué à son bac et doit préparer l’examen de rattrapage en septembre) entend fixer – et limiter – le cadre de ses amourettes. Comme une petite pécore vicieuse qu’elle est, Cécile va tendre un piège et Anne s’y perdra.

Goût de cendres dans la bouche pour tout le monde ; belle dernière séquence qui intervient une année après les événements relatés et la mort – le suicide ? – en voiture d’Anne. Amertume et lassitude ; l’enfance s’est envolée et on sait que la vie sera une suite de routines et de désillusions.

On ne badine pas avec l’amour.

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