Enter the void

Trou noir psychédélique.

Je trouve bien dommage – et finalement assez exaspérant – qu’un cinéaste aussi doué et aussi intelligent que Gaspar Noé ne veuille pas se rendre compte que ses grandes qualités ont des limites et que sa façon de réaliser des films crispants, désagréables, désespérants aboutisse, à la longue, non pas à déranger le spectateur, mais à le laisser en fin de compte plutôt goguenard. La provocation pour le seul plaisir de la provocation, l’hermétisme des scénarios, les bouleversements temporels, les survenues d’images hypnotiques, les éblouissements visuels, le recours systématique à des séquences pornographiques finissent par constituer une sorte de marque de fabrique ; qui, comme toutes les marques répétitives, parvient à ne plus surprendre et à ne plus du tout intéresser.

Enter the void est bien trop long : plus de deux heures et demie ; sur le DVD j’ai choisi la version longue, il est vrai, la version cinéma ; mais la version bluray ne comptait qu’un quart d’heure de moins ; à quoi bon ? Je persiste à dire que la longueur d’un film (sauf folie furieuse : Noli me tangere de Jacques Rivette, plus de 7 heures !) que la longueur d’un film, donc, n’est pas un obstacle quand le récit est dense et le rythme soutenu : jamais je ne regrette de voir et de revoir Autant en emporte le vent (4 heures). Mais c’est bien différent lorsqu’on se pose dans une longue errance répétitive, redondante, récursive, nourrie de tics de filmage dont on finit par penser, à la longue qu’ils ne sont placés là que pour épater le gogo.

Pas davantage que contre la longueur je n’ai quoi que ce soit contre le sordide : que je le veuille ou non, ce monde crasseux de junkies, de trafiquants, de filles qui se vendent, de types blêmes qui vivent la nuit dans la violence des néons et des ruelles crasseuses existe et je ne crois pas qu’il soit bien malin de se boucher yeux et oreilles pour en nier l’existence. Et encore moins pour s’en indigner, même si je pense que Gaspar Noé gagnerait en densité s’il quittait, ne serait-ce que pour un film, sa fascination pour toutes ces formes de marginalité. Comme disait Jacques Chardonne à Roger Nimier De cette nuit que vous entretenez en vous il faudra bien sortir, sinon elle vous étouffera.

Enter the void est l’histoire assez glaçante d’Oscar (Nathaniel Brown) et de sa sœur Linda (Paz de La Huerta) qui, tout jeunes ont perdu leurs parents dans un effroyable accident automobile et qui nourrissent l’un pour l’autre une passion exclusive, torrentielle, incestueuse inavouée.

Le film se passe à Tokyo, dont on ne voit guère que les néons agressifs et le bourdonnement nocturne. Oscar deale toutes les drogues possibles et les pires saloperies qui se puissent ; Linda est strip-teaseuse dans une boîte glauque et couche avec Mario (Masato Tanno) le patron japonais de la boîte. Pour une raison que je n’ai pas bien comprise, Oscar est dénoncé par un de ses clients et amis, Victor (Olly Alexander) ; peut-être ou sans doute parce qu’il a couché avec Suzy (Sara Stockbridge), la mère de Victor. Et la police abat Oscar dans les chiottes crasseuses du bar où se font les transactions. Mais avant de s’effacer définitivement du Monde, l’âme (l’ectoplasme ? le corps astral ? tout ce que vous voulez) erre sur Terre, parce qu’il ne veut pas se séparer de sa sœur chérie Linda.

Drôle de récit ; surtout drôle de façon de filmer, dans des atmosphères volontairement clinquantes, ultra colorées, voyantes, provocatrices ou bien dans des décors sordides, des rues défoncées, anxiogènes, au milieu des détritus, des climatiseurs rouillés, des fils électriques qui pendent.

Je suppose que dans une salle de cinéma, la violence du filmage et de ses obsessions – caméra portée, kaléidoscopes, scintillements, plongées – puissent avoir l’effet hypnotique sur les spectateurs ; c’est sans doute ce que Gaspar Noé attend ; et de fait on peut être tout à fait fasciné, ici et là, par des séquences d’une grande beauté étrange, évidemment génératrices de malaises. Mais à force de les multiplier, d’en faire des enchaînements systématiques, le réalisateur lasse et ennuie.

On ne peut guère que se répéter : dans le paysage si convenu, si ennuyeux, si banal du cinéma d’aujourd’hui, le talent de Noé détonne et intéresse ; mais il désarçonne et exaspère aussi. Qu’y faire ?

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