Hiroshima mon amour

Au delà du néant.

J’étais bien trop jeune, en 1959, pour aller regarder un film qui fit alors quelque bruit ; et si j’avais été en âge de choisir les spectacles que j’étais admis à voir, j’aurais sûrement pensé qu’il pouvait s’agir d’un documentaire sur la bombe atomique ou, au mieux, sur un monstre affreux surgi des horreurs de la radioactivité (du type Rodan). Mais qu’est-ce qui m’a fait me méfier et passer mon tour, cinq ou six ans plus tard, lorsque le film d’Alain Resnais est passé dans les cinémas d’art et d’essai et que de graves professeurs nous ont conseillés d’aller découvrir Hiroshima mon amour ? Peut-être une sorte d’intuition de bon sens, un refus de céder à la gugusserie ambiante et à la jactance universelle.

Et puis aujourd’hui, par le hasard des choses, ce hasard qui est maître de nos destins et qui nous ménage de bien curieuses surprises, voilà que j’ai passé une heure et demie de ma vie, qui n’en est pas si abondante, à regarder, effaré, interloqué, stupéfait un film dont la prétention et la nullité se tiennent par la barbichette. Un machin épouvantable dont l’aura, depuis soixante ans, demeure vivace, mais dont je défie quiconque de trouver l’agrément.

C’est lourd, lent, pontifiant, ennuyeux au delà du raisonnable ; c’est d’une prétention inimaginable, porté par les cadences hiératiques d’une sorte de légende poreuse et labyrinthique, Marguerite Duras, qui passe, aux yeux des esprits forts pour un grand écrivain et qui est même éditée en Pléiade (quelle pitié ! pourquoi pas les œuvres complètes d’Annie Cordy ?). C’est lent, lourd, nul, laid. Ça raconte vaguement l’histoire d’une rencontre effritée entre Elle (Emmanuelle Riva) et Lui (Eiji Okada). En fait, ça ne raconte rien. Ils se sont croisés par hasard, l’un et l’autre sont mariés. Au lendemain, elle repartira pour retrouver les siens en France. Entretemps, ils glosent, moins sur la guerre atomique et sur les morts japonais que sur les incertitudes du désir. Marivaudage à la con, lourdement paré de formules sentencieuses qui ont fait florès chez les nécrosés du bulbe, du type Tu me tues, tu me fais du bien.

On comprend mieux la vacuité du film en en suivant un peu le parcours tel qu’il est relaté dans les suppléments du DVD ; à la base, il y a de l’argent bloqué au Japon et que le producteur Anatole Dauman ne veut pas perdre ; il demande donc à Alain Resnais d’aller tourner là-bas un film pour éponger les yens. Resnais vient d’acquérir une certaine notoriété pédagogique grâce à Nuit et brouillard sur les camps d’extermination. Pourquoi ne pas évoquer d’autres horreurs, les conséquences de l’explosion atomique du 6 août 1945 ? Mais le réalisateur se rend vite compte que tous les documentaires possibles et imaginables ont déjà été tournés. Dès lors, il faut joindre à l’évocation de l’explosion une histoire un peu romanesque ; il songe à Françoise Sagan, à Simone de Beauvoir. Finalement, c’est Marguerite Duras qui s’y colle.

Mais que dire et qu’écrire ? Personne n’en sait rien au début, jusqu’à ce que l’idée vienne de relier, avec assez de roublardise, les épouvantes japonaises au sort que, quatorze ans auparavant, aura subi Elle, alors jeune fille nivernaise, tombée amoureuse d’un soldat allemand (Bernard Fresson, méconnaissable), abattu à la libération de la ville. Tondue, proscrite, pestiférée, à peine abritée par ses parents, qui subissent sa honte, Elle s’est reconstruite (comme on dit de nos jours), a surmonté ses malheurs, mais les porte toujours au fin fond de son crâne.

Peut-on dire que sa rencontre avec Lui, qui a perdu toute sa famille à Hiroshima, mais qui a réagi pareillement et qui, comme elle, semble en parfait équilibre, va re-susciter les souvenirs des désastres ? C’est possible ; mais c’est flou, indéterminé, verbeux, pompeux. Deux êtres qui passent leur temps à faire l’amour, à se trouver sans se chercher, à faire mine d’ignorer que, quelques heures plus tard, ils seront pour toujours séparés, l’une regagnant Paris, l’autre demeurant sur place, deux êtres à qui aucun spectateur ne peut s’attacher, tant ils sont désincarnés, épures singulières d’une rêverie ennuyeuse.

Lors de la présentation du film, lors du festival de Cannes 1959, il a été de bon ton de se prosterner, de s’agenouiller devant la modernité de ce cinéma, aussi agréable qu’une bruine de novembre au fin fond de la Creuse : trop prospère, l’époque était prête à toutes les balourdises ; mais que, tant d’années plus tard, certains puissent encore révérer cette nullité boursouflée est étonnant.

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