Jambon, jambon

Batailles dans la sierra.

C’est peu dire que je n’ai pas pour l’Espagne les mêmes affinités électives que pour l’Italie. Et je crains que l’incompréhension que je ressens pour les comportements et les mœurs d’Outre-Pyrénées ne s’étende à son cinéma. Il est bien vrai que je connais infiniment moins le cinéma ibérique, beaucoup moins diffusé et construit par des réalisateurs moins notoires que l’autre et que si je m’y émergeais je trouverais sûrement des pépites. Il est vrai aussi que je nourris beaucoup d’admiration pour son réalisateur sans doute le plus important, Luis Bunuel, évidemment qui a réussi une carrière chaotique, mais internationale et couronnée de quelques grands films (Los OlvidadosBelle de  jourLe charme discret de la bourgeoisie, par exemple).

Je n’ai pas vu plus de quatre ou cinq films de Pedro Almodovar sans être jamais vraiment séduit. Et Jambon, jambon était le premier – et certainement le dernier – film de Bigas Luna que je regardais. J’aimerais d’ailleurs que quelqu’un qui connaît le cinéma ibérique d’aujourd’hui m’indique dissemblances et analogies qu’il y a entre ces deux-là. Parce que, chez ces réalisateurs il y a une telle omniprésence d’une sexualité lourde, contraignante, presque douloureuse, il y a un regard méfiant, un peu sale, un peu trouble sur les relations familiales, il y a, rôdant en arrière-plan, le sale petit parfum de l’inceste fantasmé que je me dis que les deux hommes ont bien trop de choses en commun pour que la chose soit fortuite.

Sierras désertiques d’Aragon, du côté de Saragosse. Il y a des cailloux, de longues plaines arides, des taureaux. Bizarre, une usine de textiles prospère, qui est spécialisée dans les sous-vêtements masculins ; fabrique dirigée avec une main de fer par Conchita (Stefania Sandrelli), dont le mari (Juan Diego) paraît assez falot, en tout cas assez distant de l’agitation créée par sa femme. Un fils unique, José-Luis (Jordi Mollà), garçon un peu mou, dominé par sa mère, mais qui est parvenu tout de même à séduire – et à engrosser – la ravissante ouvrière Silvia (Pénélope Cruz). La mère invasive de José-Luis n’est naturellement pas ravie de l’idylle ; d’ailleurs son fils n’est évidemment pas à la mesure de qui que ce soit. Sinon d’elle, mais c’est implicite.

Et voilà que le réalisateur commence à embrouiller un peu le cadre. Carmen (Anna Galiena), la mère de la gracieuse Silvia, se trouve diriger un bar à filles, après avoir été abandonnée par son mari et avoir regretté longuement la belle histoire qu’elle aurait pu vivre avec le père de José-Luis. Survient aussi une belle bête charnelle, Raul (Javier Bardem) dont émane une telle animalité sexuelle qu’elle bouleverse toutes les femelles. Je ne sais pas si on me suit, lorsqu’on parvient à ce moment de mon propos. Il va falloir, puisque ça va encore largement se compliquer. Mais je ne suis pas certain d’avoir envie d’entrer dans toutes les ramifications d’une intrigue qui devient risible à force de se compliquer.

Bon prince, je me lance toutefois : en fait, tous les liens disposés à l’origine vont exploser les uns après les autres. Pulsion invasive de la sexualité ? Frustrations surmontées ? Mensonges qu’on finit par ne plus se raconter ? Tout cela et autre chose, si l’on veut.

Seulement, lorsqu’on tient entre ses mains une construction fragile, encore faut-il la traiter avec délicatesse et doigté. Et c’est là où le film pèche gravement : à partir du moment où les cadres s’évanouissent, on part vers le grand n’importe quoi et on échoue, sur la grève terminale, sur une des scènes les plus grotesques, les plus ridicules que j’aie jamais vues, où tous les personnages principaux, certains morts, d’autres vivants, se jouent une sorte de Pietà christique à pleurer de rire.

C’est bien simple, d’ailleurs : au fur et à mesure que je regardais Jambon, jambon, ma bienveillance et ma note s’évaporaient. Plutôt débonnaires au début, elles se dirigeaient à toute allure vers l’agacement et l’irritation. Il est heureux que le film de Bigas Luna ne dure que 90 minutes. Plus long, jusqu’à quelles abysses serais-je descendu ?

 

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