La cité de l’indicible peur

Affiche

Trois cavaliers de l’orage.

On sait bien que de Jean-Pierre Mocky, on ne peut pas attendre grand chose, si ce n’est de l’abondance et du verbiage. Et de l’excès et du mauvais goût. Et des orientations qui poussent vers l’invraisemblable, le grotesque, le caricatural, l’outrancier. C’est une sorte de marque de fabrique, fièrement arborée et finalement plutôt ridicule : un type qui a voulu entrer dans la cour des grands et a fini par tourner n’importe quoi en arborant sa solitude comme un bouclier odoriférant.

Mais La cité de l’indicible peur, au beau titre que des producteurs félons ont voulu remplacer, ab initio par une grotesque Grande frousse, cette Cité là fait encore partie des films où Mocky ne se fichait pas du monde ; enfin, ne se fichait pas trop du monde. Il y a une vague esquisse de scénario, des dialogues, à peu près réussis, de Raymond Queneau, le choix pour décor de l’étrange atmosphère de la petite ville de Salers (Cantal, pour ceux qui l’ignorent et ont bien tort de l’ignorer).

Le film s’appuie sur l’adaptation d’un grand récit glaçant du merveilleux Jean Ray, auteur belge à peu près aussi prolifique que son grand compatriote Georges Simenon ; un auteur de haute qualité qui, assez bizarrement, n’a guère été adapté au cinéma puisque, à part La cité de l’indicible peur et quelques petites choses télévisées, on ne repère de lui que le singulier Malpertuis de Harry Kumel, alors qu’e son œuvre recèle des monceaux de pépites angoissantes. Mais Mocky et son complice Queneau ont tiré l’intrigue vers le farfelu et le grotesque, respectant néanmoins la structure du récit, moins fantastique qu’inquiétante.

Le réalisateur le dit clairement, dans le supplément du DVD : les producteurs lui ont imposé d’employer la plus grande quantité possible d’acteurs, plus exactement de trognes, de visages, dans qui les spectateurs pouvaient reconnaître des physionomies connues. Le film est un peu, d’ailleurs, un florilège, une accumulation de seconds rôles de grande ou moyenne notoriété à l’époque du tournage (1964) : même Bourvil n’était pas alors l’immense vedette qu’il deviendra, l’année suivante avec Le corniaud de Gérard Oury ; et si Jean-Louis Barrault était connu et révéré de tous, c’était bien grâce à sa place dans la création théâtrale plus que d’avoir été Baptiste dans Les enfants du Paradis ou Berlioz dans La symphonie fantastique.

Et tout le reste de la distribution était fait de ces visages que chacun reconnaissait, sans pouvoir toujours leur mettre alors un nom : Jean Poiret,Jacques Dufilho,Francis Blanche,Marcel Péres… Et je ne parle qu’à peine de Fred Pasquali ou de Léonce Corne, déjà oubliés depuis longtemps. Deux exceptions toutefois, qui avaient une immense notoriété théâtrale : Raymond Rouleau et Victor Francen, l’un et l’autre d’ailleurs absolument brillants.

Le film est parfaitement foutraque, peu fantastique et peu terrifiant : un policier benêt, Simon Triquet (Bourvil) qui a arrêté par mégarde un grand criminel, Mickey le Bénédictin (Joe Davray ), échappé à la guillotine de façon rocambolesque, est chargé de le retrouver dans la petite ville de Barges où le malfaiteur est censé se cacher. Barges, c’est, à l’écran, la cité de Salers, bâtie en pierres volcaniques noires et c’est certainement une des meilleures qualités du film que d’avoir été tourné dans cet étrange, austère, corseté paysage. Se déroulent dans cette petite cité provinciale, désert sans solitude (selon le mot de François Mauriac) des épisodes abracadabrants. Qui n’ont d’autre intérêt que de montrer, pour qui l’ignorerait, la quantité de haines rancies et de petits secrets dégueulasses que toute réunion d’individus recèle forcément. La découverte du principal coupable n’a d’ailleurs aucun intérêt.

L’ennui c’est que, comme toujours dans les films de Mocky, les comédiens ont la bride sur le cou et rivalisent d’affectation dans leurs emplois respectifs : Poiret fait du Poiret, Dufilho du Dufilho, Blanche du Blanche et ainsi de suite ; et Bourvil qui saura plus tard se montrer grand comédien, roucoule, fredonne et ulule comme on n’aime pas le voir.

Si Rouleau remplit sans risque un rôle exaspérant à sourire exaspérant, c’est Francen qui est, de très loin, le meilleur acteur du film, en médecin sceptique imbibé d’alcool : il est là, dans un tout autre genre, aussi exceptionnellement bon qu’en Marny dans la sublime Fin du jour de Julien Duvivier.

C’est donc regardable, mais ce n’est jamais que du Mocky. Et le meilleur du film, en fin de compte, ce sont les apparitions de trois hommes pleins de mystère, vêtus de noir et ironiques ; ainsi, au tout début, les voit-on chevaucher avec de grandes capes ouvertes au vent, ce qui est assez beau. Et c’est à peu près tout, avec l’arrivée dans les rues hostiles de Salers et ses maison bâties en pierre de lave noire, rues où souffle un vent mauvais et où les feuilles d’arbres arrachées sont presque menaçantes.

Que l’on prenne garde !

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