L’abominable homme des douanes

Au fond de la piscine, on peut encore creuser…

Ce n’est pas toujours bien beau, les fins de carrière. Si Marc Allégret n’a jamais eu le talent de son frère Yves (celui-ci bien assisté par le scénariste Jacques Sigurd), il a tout de même réalisé quelques films intéressants et même notables ; en premier lieu Entrée des artistes avec un Louis Jouvet étincelant, mais aussi Félicie Nanteuil et surtout Blanche Fury ou même Aventure à Paris ou Gribouille. Et son acteur principal, dans L’abominable homme des douanes, c’est Darry Cowl à l’étrange destin. D’abord irrésistible acteur de complément (un peu comme Louis de Funès), il passe en quelques mois à un statut de vedette, tournant en premier plan une dizaine de films très oubliables mais qui rencontrent un succès réel au cœur de la France profonde.

Le vedettariat s’éteint aussi rapidement qu’il s’était allumé. Darry Cowl tournera encore, jusqu’à sa mort, en 2006, des dizaines de films mais n’y fera plus guère que des apparitions qui, d’ailleurs, raviront son public, heureux de reconnaître sa silhouette caractéristique, ses cheveux frisottés, son bafouillement irrésistible. L’abominable homme des douanes, en 1963, c’est le début de la fin du vedettariat, de l’acteur en première ligne, sur qui tout repose. Après cela, il n’y aura plus guère que Jaloux comme un tigre (qu’il a lui-même réalisé), pour le placer en tout premier plan.

Et on ne peut pas dire que c’est une injustice. Après ce film affreux, d’ailleurs, Marc Allégret ne réalisera plus que des documentaires. L’abominable homme des douanes est tourné avec trois francs, six sous, avec des acteurs de quatrième plan ou des comédiens qui avaient de gros besoins d’argent et ne regardaient pas de trop près la qualité du scénario et la justesse des dialogues. Francis Blanche avait, paraît-il, de nombreuses pensions alimentaires à verser, Marcel Dalio tirait le diable par la queue. Mais Pierre Brasseur, tout de même, l’acteur de Quai des brumes, des Enfants du Paradis, des Portes de la nuit… Quelle pitié…

Car le film est d’une nullité angoissante. Deux bandes, l’une conduite par Arnakos (Blanche), l’autre par Grégor (Dalio) se disputent le marché de la drogue. Elles sont traquées par les Douanes, dirigées par Bretchiani (Nicolas Vogel), dont Camposantos (Darry Cowl) est modeste collaborateur et souffre-douleur. Par suite d’un hasard dont les films de cet acabit font leur miel, Camposantos est pris par Arnakos/Blanche pour le tueur muet appelé des États-Unis afin de triompher du rival Grégor. On devine la suite, d’autant que le douanier joue le jeu, séduit Gloria (Tania Béryl), la maîtresse d’Arnakos, et amène les malfrats à s’entretuer, tout en récupérant la cocaïne (ou l’héroïne, je ne sais plus et ça n’a aucune importance).

C’est vraiment bête comme chou, lambin, paresseux. Et surtout ridicule ; il y a une scène particulièrement pénible avec Pierre Brasseur, qui joue le tueur russe de la bande d’Arnakos, ancien officier de l’Armée blanche de Wrangel et je ne vois absolument rien à sauver dans cette désolation. Quelques rues de Paris où l’on pouvait encore rouler, l’atmosphère d’Orly avant l’aviation de masse. Ça ne suffit pas. Heureusement ça ne dure que 80 minutes.

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