Le petit Claus et le grand Claus

Les frères faiseurs.

Bien que ce téléfilm d’un peu plus d’une heure ait été commandé à Pierre Prévert par Claude Santelli, le merveilleux magicien du Théâtre de la jeunesse (une des splendeurs de la télévision d’antan), bien qu’il s’établisse sur un conte profond et sarcastique d’Hans Christian Andersen, il ne vaut pas grand chose. On peut d’ailleurs se demander pourquoi et comment il a bénéficié d’une si grande bienveillance critique et a reçu tant et tant de distinctions, notamment le prix de la meilleure émission de télévision.

Je ne vois pas trop au demeurant à qui ce téléfilm pouvait bien s’adresser à l’époque de sa réalisation : trop sauvage et cruel pour les enfants, trop simpliste pour les adultes, il voguait dans une incertitude ennuyeuse, guère susceptible de faire rêver les enfants, ni d’intéresser les grands.

En fait on a l’impression que Le petit Claus et le grand Claus est l’occasion d’une situation de copinage éhonté entre des anciens du Groupe Octobre, structure anarcho-communiste des années Trente à qui appartenaient les frères Prévert, mais aussi les deux acteurs protagonistes principaux, Maurice Baquet et Roger Blin et à qui n’était pas étranger le compositeur de la musique du film, Jean Wiener, père d’Élisabeth qui apporte son sourire et sa fraîcheur.

Mais il est terriblement lent et ennuyeux, ce récit narquois des bisbilles entre deux villageois disparates ; comme de juste, c’est le petit, disgracié et sympathique Claus qui l’emportera sur le fier-à-bras avantageux et rutilant Grand Claus, qui le roulera dans la farine et lui fera perdre à peu près tous ses repères. Ma foi, le conte d’Andersen est aussi cruel et cynique que d’habitude, mais la réalisation de Pierre Prévert ahane sans talent ni intérêt. Juxtaposition de dessins médiocrement filmés, d’images fixes qui font songer aux romans-photo de l’époque du tournage et de quelques scènes animées tournées sur fonds de décors en carton-pâte. On veut bien de temps à autre s’immerger dans la magie des métrages de Georges Méliès mais là c’est tellement systématique que l’on en a vite sa claque.

C’est vraiment très minimal, tourné pour des émissions fauchées et pour occuper des créneaux vides. Toutefois une observation qui me semble assez significative : en 1965, dans cette émission réalisée pour des enfants, à l’occasion des vacances de la fin de l’année, la Mort est omniprésente et familière : on la montre, on la tutoie, on la regarde avec ironie ; elle existe, tout simplement, comme une sorte de donnée objective (ce qu’elle est, au demeurant). On ne la cache pas, on ne l’occulte pas, on ne veut pas la faire disparaître de la quotidienneté. Combien est grande la différence entre cette familiarité et l’occultation que nous faisons aujourd’hui subir à ce qui devrait être notre compagne familière !

Un demi siècle a passé : on a fait de la Mort un scandale ; c’est pourtant une des seules certitudes que nous pouvons porter. Au fait, comme disait la merveilleuse Danielle Darrieux : Ce qui est inéluctable est insignifiant.

Bien. Voilà désormais vu et commenté le gros coffret consacré par Doriane films aux deux frères Prévert. Il ne valait absolument pas la peine de faire si exhaustif et si élégamment édité. Ah, misère !

 

 

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