Le port du désir

Ne vous y trompez pas !

Non, ne vous y trompez pas : le titre racoleur du film ne s’applique de fait qu’à la première partie et avec les restrictions de pudicité en usage au milieu des années Cinquante (plus fortes que celles de la fin de l’Entre-deux-guerres). Malheureusement la seconde partie du Port du désir sombre dans la banalité d’un thriller guère inspiré et s’achève même indignement dans des bagarres aussi minables que celles que pratiquait, à la même époque, le singulier Eddie Constantine.

Mais sur la seule première partie, j’aurais mis une meilleure note que ce 4/6… Car l’atmosphère de Marseille, le monde flou des boîtes à matelots, la résignation désinvolte des filles, et même certaines cruautés assez bien venues (la fascination du pire des méchants, Black (Jean-Roger Caussimon) pour les longues, tueuses et esthétiques épingles à chapeau, les cheveux de la jeune femme assassinée flottant dans la mer) sont extrêmement intéressantes, et Gréville, que je ne connaissais que par la mythique et non éditée Princesse Tam-tam avec la divine Joséphine Baker se tire remarquablement bien de son ouvrage, multipliant les prises de vue intéressantes et même audacieuses…

1293699065Ah, Marseille de 1955 ! Marseille ignorée, même pour moi qui ne la connais pas mal… Marseille d’après la guerre, ce n’est plus la ville de Marius, dont tant de quartiers ont été détruits par les Boches (et, soyons honnête, par les bombardements alliés) ; le pont transbordeur a vécu et tant de venelles pittoresques. Mais ce n’est pas encore la cité d’aujourd’hui gangrenée par la violence, aux quartiers Nord en quasi sécession ; et l’Estaque des films de Guédiguian a toujours été une sorte de principauté presque hors les murs… Marseille de 1955, c’est le premier port d’Europe, irrigué par les échanges avec les colonies et le trafic du canal de Suez qui n’a pas encore été nationalisé…

Je m’égare et reviens aux bouis-bouis interlopes, où les filles du monde entier se donnent aux matelots du monde entier. Il y a encore, dans Le Port du désir, le souvenir et la nostalgie des maisons qui, somme toute, n’ont fermé leurs volets, à l’instigation de la douteuse Marthe Richard, que neuf ans auparavant. Ce qui pourrait presque passer pour une étude ethnologique n’est pas mal du tout filmé, et la direction de l’établissement par Gaby Basset, première femme de Jean Gabin, qui insistait toujours pour qu’elle figurât dans les films qu’il tournait, a tous les charmes de la vraisemblance.

port-du-desir_341059_37552Gabin, donc. Ce qui est assez curieux, c’est qu’en 55, il a déjà largement remonté la pente après son éclipse des années Quarante. Rien qu’en 1954, Touchez pas au grisbi de Jacques Becker, L’air de Paris de Marcel Carné, French cancan de Jean Renoir !!! Eh bien, dans Le port du désir, le rôle qu’il joue, celui du capitaine Le Quévic, ne remplit pas totalement l’espace, n’est, si je puis dire, que sur un demi premier plan, qui lui est presque contesté par la belle gueule marmoréenne et fragile d’Henri Vidal. Voilà qui déséquilibre un peu le film, parce que, lorsqu’on a Gabin avec soi, il faut, si l’on veut lui faire partager l’écran, le mettre en face d’une autre étoile de grande magnitude et de grand talent, Bourvil, dans La traversée de Paris, Belmondo dans Un singe en hiver ou Delon dans Mélodie en sous-sol.

La faiblesse principale de la distribution n’est pas Henri Vidal, pourtant, mais bien la catastrophique Andrée Debar, aussi sexy qu’une endive, qui tire sa mine défaite et son visage ambigu sans pouvoir persuader le spectateur qu’on peut pour elle déserter les charmes bien plus convaincants d’Édith Georges, autrement glamour et sacrément bien fichue (autrement moins vertueuse, il faut bien le dire aussi…).

Cela passé, Le port du désir est un film assez agréable, où l’on voit un scaphandre semblable à celui qu’utilise Tintin dans Le trésor de Rackham le Rouge, où l’on retrouve, dans des rôles très adjacents, des trognes marseillaises sympathiques (Berval, Ardisson, Blavette) et une intrigue intéressante.

Et puis il y a, dans les suppléments du DVD, une intervention de Florence Moncorgé qui parle de son père avec infiniment de sensibilité et d’intelligence…

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