Les amants de la nuit

La mort qui rode.

C’est encore une histoire de fatalité, ou peu s’en faut. Un jeune voyou, Bowie Bowers (Farley Granger) qui a écopé de cinq ans de prison pour assassinat, s’évade avec deux truands chevronnés, le borgne Chicamaw Mobley (Howard Da Silva), qui est un peu psychopathe et Henry T-Dub Mansfield (Jay C. Flippen), un peu davantage subtil. Bowie n’a pas une grande vocation pour le monde du gangstérisme, mais il ne voit pas bien ce qu’il pourrait faire d’autre et d’ailleurs ses deux compagnons lui rappellent qu’ils l’ont distingué au bagne et choisi pour l’évasion afin qu’il les accompagne désormais dans leurs mauvais coups. Les trois hommes se réfugient chez Mobley (Will Wright), frère de Chicamaw et père de la jeune Keechie (Cathy O’Donnel). Arrive ce qui doit arriver : Bowie et Keechie se plaisent et vont lier leurs destins (comme on dit dans les romans de gare).

On a mis un temps fou pour en arriver là, sans qu’il y ait trop de raisons à cette lenteur plutôt figée. Ce qui va se passer ensuite sera de meilleure veine et offrira le charme des évidences. Un couple de petits malfrats, qui n’est pas vraiment méchant, qui ne détesterait pas s’en sortir mais qui ne sait pas trop comment faire, en vadrouille et en fuite dans les États-Unis de l’Entre-deux-guerres et qui s’achève par une fusillade, voilà qui fait évidemment songer à Bonnie and Clyde, dont la beauté des personnages, de la violence représentée et de la musique bluegrass ont marqué à juste titre toute une génération. Ce qui est curieux, c’est que le film d’Arthur Penn, qui est sorti en 1967, s’inspire librement de l’existence de deux authentiques personnages, celui de Nicholas Ray, qui date de 1948, paraît être une pure fiction. Il est d’ailleurs possible que Les amants de la nuit ait donné aux scénaristes de Bonnie and Clyde l’idée de remettre en avant-scène une histoire de couple fatidique, voué de toute évidence à la mort violente.

Le film de Nicholas Ray, son premier film d’ailleurs, n’est pas de ce niveau, bien qu’il ait été porté au pinacle par plusieurs cinéastes (dont François Truffaut, paraît-il) et qu’il ne manque pas de qualités, notamment grâce à sa photographie nocturne et souvent inquiétante. Et il y a aussi quelques scènes très réussies par exemple celle du mariage des deux jeunes gens dans une de ces chapelles qui semblent foisonner aux Amériques, où pour quelques dollars et où en deux temps, trois mouvements un étrange préposé, un peu gluant, délivre une sorte de licence matrimoniale, fournissant même les témoins de l’hyménée. Là le pasteur Hawkins (Ian Wolfe) est particulièrement gratiné et minable : voici un bon point ! Et puis l’aspect inéluctable de la souricière qui se referme.

Mais il manque tout de même beaucoup de choses au film. J’ai dit déjà l’extrême lenteur de son premier tiers ; les ellipses narratives où l’on apprend la mort brutale des compagnons de géhenne de Bowie sont mal amenées et frustrantes. Surtout les personnages n’ont pas de réalité, n’ont aucune épaisseur, une de ces épaisseurs dramatiques qui permettent au spectateur de presque connaître et comprendre tout de suite ce qu’a été leur passé et ce que sera leur avenir. Et de surcroît l’interprétation n’est pas très bonne, bien que Farley Granger ait déjà dans le visage cette touche de veulerie qu’il déploiera à l’envi dans Senso de Lucchino Visconti ; mais Cathy O’Donnel est particulièrement insignifiante.

Peut-être et tout à mon admiration pour Bonnie and Clyde à l’enthousiasme des vingt ans que j’avais alors, suis-je un peu injuste envers un film qui m’a semblé plutôt superficiel. Disons que j’accepterai volontiers une argumentation en sens inverse, ce qui, chez moi, n’est pas si fréquent.

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