Les ensorcelés

Jours tranquilles à Hollywood.

Il faut bien du talent – et, de fait, Vincente Minnelli n’en manquait pas – pour réaliser un mélodrame aussi éclatant aux péripéties largement prévisibles, aux structures presque scolaires et en faire un film où l’on ne s’ennuie pas une seconde. Un film porté, bien sûr, par le jeu d’excellents acteurs, mais aussi et surtout par une grande fluidité de mise en scène, par une maestria parfaite pour conduire le récit, pourtant si artificiellement composé qu’on pourrait en faire une sorte de démonstration au tableau noir. Trois personnages conviés à répondre à l’invitation de l’aider d’un homme que tous trois ont quelque raison de détester, trois flash-backs sur les causes de cette aversion, trois décisions de refuser l’aide sollicitée puis (et ceci est plutôt artificiel) de l’accorder, dans une fin ouverte. Mais on est en 1952 et il ne faut pas être trop noir et trop pessimiste dans les États-Unis de l’époque. Dommage.

La vie du producteur de cinéma Jonathan Schields (Kirk Douglas), paraît-il inspirée de elle de David O. Selznick, l’homme de Autant en emporte le vent et du Troisième homme donne prétexte à montrer les canailleries d’Hollywood. Fort bien et on imagine sans mal combien l’industrie du cinéma a pu se fonder, croître et prospérer sur des trahisons, des escroqueries, des coups tordus, des coucheries, des chantages et toutes sortes de ces saletés qui prospèrent dès qu’il y a, dégoulinants à profusion, des dollars et du sexe. Le père de Shields était lui-même une franche canaille, détestée au point que son fils Jonathan est contraint, pour assurer un peu de décente présence à ces obsèques, de payer des figurants.

On ne se refait pas ; il y a chez Jonathan une sorte de détermination absolue d’arriver, de parvenir, de triompher. Pour l’argent ? oui sans doute, mais pas seulement ; on voit en lui une sorte de folie triste, celle de réussir sans jamais être satisfait, un peu identique à celle qui anime Danglard (Jean Gabin) dans le si réussi French cancan de Jean Renoir ; ce qui l’anime, l’excite, le fait vibrer, ce qui lui donne la fièvre, c’est l’action, la traque d’un scénario, la composition de l’équipe de tournage, le choix des acteurs, la résolution de myriades de problèmes financiers et techniques, puis la distribution du film, son impact auprès de la critique, sa diffusion… C’est extrêmement compréhensible.

Pour tracer sa route en ce sens, Jonathan Schields ne s’embarrasse naturellement pas du moindre scrupule ; ou plus exactement sacrifie à l’avancée obstinée du projet tout ce qui pourrait en ralentir la progression ; ce n’est donc pas par méchanceté, mépris, ni même par égoïsme qu’il va successivement sortir de son chemin le réalisateur Fred Amiel (Barry Sullivan), l’actrice Georgia Lorrison (Lana Turner), le scénariste James Bartlow (Dick Powell) : c’est parce que, une fois, utilisés, ils l’encombrent.

N’empêche que Schields a poussé ceux qu’il a utilisés à aller un peu ou beaucoup au delà de ce qu’ils croyaient être leur rôle et leur mesure ; il les a amenés à se surpasser, à passer au delà de leur main pour devenir l’un le réalisateur le plus talentueux du cinéma, la deuxième la vedette la plus adulée du public, le troisième le scénariste demandé par tous et lauréat du prix Pulitzer. C’est ce que rappelle le vieux complice de Schields, le producteur Harry Pebbel (Walter Pidgeon), qui n’aurait lui-même produit que des films de troisième zone s’il n’avait pas été exhaussé par l’ambition dévorante de Schields.

Le scénario ne manque pas d’effets mélodramatiques, quelquefois un peu trop voyants ; par exemple l’accident qui coûte la vie à Rosemary (Gloria Grahame) et à Gaucho (Gilbert Roland), le bellâtre que Schields lui a collé dans les pattes pour que Bartlow le scénariste puisse se consacrer totalement à l’écriture. Mais Minnelli filme tout cela avec une très grande aisance, aidé en cela par une équipe de comédiens formidables, au premier rang de qui Kirk Douglas brille de toute l’immensité de son talent…

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