Les saisons du cœur

La case de l’Oncle Moses et de l’Oncle Will.

Les premières images du film me rappellent quelque chose : non pas un lieu ou une situation, mais une atmosphère. Nous sommes à Waxahachie, au Nord-Est de l’État du Texas. Coin plat et poussiéreux ; une petite ville qui doit avoir cinq ou dix mille habitants ; coexistence de Blancs et de Noirs qui partagent une même religiosité bien qu’ils ne fréquentent évidemment pas les mêmes édifices ; ségrégation bien ancrée dans toutes les têtes, comme une donnée de nature. Nous sommes en 1935, c’est-à-dire au pic de la crise qui secoue les États-Unis et une bonne partie du monde depuis 1929. 

Je ne parviens pas à comprendre pourquoi j’ai une impression de déjà vu ou plutôt de déjà ressenti jusqu’à ce que je m’aperçoive que Robert Benton, le réalisateur du film de 1982 a été, 15 ans auparavant, le scénariste de Bonnie and Clyde d’Arthur Penn : mêmes sensations de poussière et de lassitude. Le New Deal mis en place par Franklin Roosevelt après son élection à la présidence en 1932 est encore loin d’avoir produit ses effets ; et d’ailleurs, à dire vrai, on peut penser que c’est la Guerre qui permettra à l’Amérique de sortir complétement du marasme économique.

Voici la famille Spalding ; le père, Royce (Ray Baker) est un peu fermier mais surtout shérif du patelin ; la mère, Edna (Sally Field) s’occupe de la bonne tenue du ménage et de ses deux jeunes enfants, Frank (Yancton Hattem) le garçon, qui a 9 ans et Possum (Gennie James) qui doit en avoir 6. Famille unie, pieuse, aimante. Le drame qui survient brutalement, sottement : appelé pour sermonner Wylie (De’voreaux White), un jeune Noir qui a bu plusieurs coups de trop et perturbe le calme des voies de chemin de fer, le shérif Royce est accidentellement tué par lui. Et ce n’est pas le lynchage évident et barbare de Wylie qui ressuscitera le père de famille.

Toute la bourgade – toute la partie blanche de la bourgade – vient entourer la veuve et les enfants ; au premier rang Margaret (Lindsay Crouse), qui est coiffeuse et très – trop – amoureuse de son mari Wayne Lomax (Ed Harris) qui la trompe consciencieusement avec Viola Kelsey (Amy Madigan), institutrice du village, épouse de Buddy (Terry O’Quinn) son meilleur ami, Viola et qui est, accessoirement, la meilleure amie d’Edna. On me suit ? Ce n’est au demeurant pas très difficile, la situation étant d’une grande banalité selon les meilleures études. Et ce n’est pas ce qui est le plus intéressant.

Car Edna, désormais toute seule avec ses petits enfants, est d’abord absolument perdue : elle ne connaît rien de sa situation financière, elle ignore que le crédit de la maison est loin d’être payé, elle ne sait même pas comment rédiger un chèque.

Suite de miracles : Moses (Danny Glover), un grand Noir costaud vagabond se présente un soir pour avoir un peu de quoi manger et, peut-être, trouver un petit travail. Edna n’a ni besoin, ni envie d’une nouvelle bouche à nourrir, mais Moses commence peu à peu à s’installer ; il suggère que l’on pourrait récolter du coton sur les 5 hectares de champs qui sont en friche. Et pourtant, bien reçu comme Jean Valjean, il barbotte les couverts en argent qui traînaient et s’enfuit.

C’est peu après que le banquier Denby (Lane Smith) se présente et insiste pour que la maison soit mise en vente et la famille dispersée puisqu’Edna ne peut payer les échéances du crédit. Refus absolu, mais Comment faire, d’autant que la crise est là  ? Comme Jean Valjean, Moses a été rattrapé et le shérif adjoint le ramène à la maison ; Edna le couvre ; comme Mgr Myriel ? Pas vraiment ! Puisque Moses se dit compétent dans la culture du coton, autant qu’il le prouve. Et les voilà partis pour l’aventure.

Et puis nouveau miracle : afin d’être plus sûrement remboursé, le banquier Denby met en pension chez Edna son beau-frère, M. Will (John Malkovich), aveugle de guerre, un homme cultivé, sensible, mais amer et misanthrope. La situation ne satisfait personne mais chacun doit bien s’amadouer et s’accommoder. La récolte du coton est rude et l’arrachage des fibres blesse les mains, les déchire, les abime ; et la vente de la production est un jeu complexe et délicat ; mais tout cela donne de bien belles images.

La fin du film est un peu trop romanesque pour convaincre. Trop de choses reviennent dans leur ordre immuable. La paix descend sur l’assemblée réunie dans le temple de la ville ; la détermination d’Edna a triomphé.

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