L’hermine

Sauve qui peut, la vie !

Si le film n’avait pas présenté en première ligne Fabrice Luchini, dont je suis un admirateur inconditionnel, je n’aurais sûrement pas regardé L’Hermine. Je pensais ex abrupto, et bien à tort, à la découverte du sujet, qu’il devait bien s’agir là d’une sorte de téléfilm dont la seule justification d’existence était de satisfaire les réglementations de quotas de production et de diffusion de TF1 et de France télévision. J’aurais dû évidemment me rappeler que le réalisateur du film était Christian Vincent, metteur en scène d’un bien joli bijou de distinction et de raffinement, La discrète. C’était, certes, il y a près de trente ans et, depuis lors, le cinéaste s’était un peu égaré à bas bruit, vers des films moins réussis, mais dont aucun (de ceux que j’ai vus), n’étaient dégradants, par exemple La séparation en 1994 ou Les saveurs du palais en 2012.

Eh bien, finalement, Christian Vincent n’avait pas perdu ses qualités de subtilité et d’intelligence et L’hermine est un film d’une réelle intelligence, extrêmement bien composé et équilibré et dont les deux acteurs principaux, Fabrice Luchini, donc, et la révélation Sidse Babett Knudsen irradient de leur talent une histoire bien fragile et bien charmante…

Comment écrire cela, pourtant, de ce qui apparaît d’emblée comme un de ces films de prétoire dont le cinéma est friand ? La Cour d’assises de Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais, dans une région dévastée par le chômage, l’alcoolisme, l’inceste. Une sorte de reportage in vivo sur l’ordinaire quotidien de la justice pénale, loin des affaires médiatiques. Dans ces terres où des horreurs comme celles de la Tour du Renard à Outreau (le réseau pédophile réel ou supposé, qui a démoli tant et tant de vies), il y en a une par semaine comme l’a dit le Procureur de la République de Boulogne. Un reportage, donc, très bien composé : le choix des jurés, les luttes de pouvoir au sein du groupe et les différentes personnalités et les tensions qui naissent. En plus un Président fatigué, abandonné par sa femme (Marie Rivière, l’actrice rohmerienne qui n’est presque qu’une silhouette). Un Président grognon, amer même souvent.

La lassitude du quotidien. Une petite Mélissa de sept mois dont la tête et le corps ont été défoncés. Par le père, Martial Béclin (Victor Pontecorvo) ou par la mère Jessica Marton (Miss Ming) aux pauvres visages las de chômeurs héréditaires ? Peuple de la misère, familles triplement, quadruplement recomposées, structures d’accueil, espérances nulles. On croit un temps que le film va aller s’égarer sur ces rivages accablants. Et lorsqu’on regarde les visages épuisés, abîmés, disgraciés de tous ceux qui défilent à la barre, on a bien peur d’avoir eu raison. Et finalement, on les quitte parce que ce n’est pas le sujet… Parce que le fardeau de toute l’affreuse misère du monde c’est encore autre chose et que refaire un film là-dessus ne rimerait sans doute pas à grand chose, tant on n’y peut rien.

On sait que le Président (Luchini) a reconnu d’emblée parmi les jurés que le sort a désignés une femme, une anesthésiste qui s’est penchée sur lui après un grave accident et dont il a été ébloui. Ébloui au point de lui dire son amour après sa sortie de l’hôpital. Sans avoir eu de réponse. On craint le pire, alors. On se dit qu’on va assister à une sorte de joli happy end caramélisé. Il y aura de ça, à la fin, mais de façon tellement plus subtile et intelligente que, pour une fois, on est ravi de la conclusion.

Justesse des dialogues, véracité des situations, qualité de la distribution. Que va-t-il se passer après que Michel Racine (Fabrice Luchini) et Ditte Lorensen-Côtteret (Sidse Babett Knudsen) se seront retrouvés ? On n’en sait rien et rien ne prouve que le Président dépressif, amer, misanthrope et l’anesthésiste rieuse, joueuse, lumineuse vont vivre une belle histoire. Mais on aimerait bien qu’au dessus de la poussière sale du monde, ils soient très heureux.

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