Metropolis

La prostituée de Babylone vit à Berlin.

Voilà un des films presque mythiques de l’histoire du cinéma que je n’avais jamais vu et que je viens de découvrir. Découvrir comme lorsque, impressionné, on vient rendre hommage au Colisée, au Parthénon, à Sainte Sophie, à Notre-Dame en se demandant pourquoi et comment on a attendu si longtemps avant de se mettre dans le souffle de ses merveilles. Au juste qu’est-ce qui me reste à voir ? Naissance d’une Nation et Intolérance de E.W.Griffith,

Un chien andalou et L’âge d’or de Luis BunuelFolies de femmes et Les rapaces d’Erich von StroheimDracula de Tod Browning… C’est à peu près tout, il me semble.

Fritz Lang est d’ailleurs loin de m’être inconnu et j’ai déjà regardé – diversement apprécié – beaucoup de son œuvre muette : des trucs souvent intéressants mis toujours interminables : Docteur Mabuse (1922), près de cinq heures en deux parties, les Nibelungen (1924), à peu près la même durée en deux épisodes aussi, Les espions (1928), trois heures, La femme sur la lune (1929) trois heures trente. Il faudra l’exil aux États-Unis pour limiter un peu ses expansions : Le secret derrière la porte, (1948), House by the river (1949) atteignent à peine les 90 minutes. Même chose lorsque, revenu dans la vieille Europe il tourne les merveilleux Contrebandiers de Moonfleet (1954) en 84 minutes et en à pleine davantage Le tigre du Bengale et Le tombeau hindou qui sont parmi les plus beaux films d’aventure qui se puissent.

Metropolis, qui fut épouvantablement charcuté par producteurs et distributeurs, a aujourd’hui, grâce à de patients travaux de recherche, retrouvé à peu près son découpage et sa longueur initiaux. Mais ça fait tout de même plus de deux heures et demie de film, ce qui est long, d’autant que l’absence de dialogues inhérente au cinéma muet pèse lourdement, malgré l’abondance des cartons explicatifs : on a le sentiment que Fritz Lang aurait pu lui-même grappiller une minute par ci, deux minutes par là pour rendre plus dense et plus nerveux son film.

Il paraît que Luis Bunuel jugeait le scénario de Metropolis tout à la fois trivial, ampoulé et pédant. Et il est vrai que, même si l’on apprécie les récits pleins de frénésie et de violence qui ont fait le succès des séries feuilletonesques, de Fantômas au Docteur Mabuse, on tombe là dans une assez pénible caricature, aux relents, d’ailleurs, curieusement nationaux-socialistes. Enfin pas si curieusement que cela puisque le film est une adaptation d’un roman de Théa von Harbou, alors femme de Fritz Lang qui demeura fidèle à l’hitlérisme jusqu’à sa mort. Et il faut bien accepter que la plupart des acteurs du film se sont sagement conduits – du point de vue allemand – jusqu’à la défaite du Reich, à l’exception d’Eugene Schüfftan, maître des remarquables effets spéciaux du film.

Mais si Bunuel se gaussait à raison du prêchi-prêcha emphatique du film, il jugeait aussi son fond photogénique admirable et le qualifiait de merveilleux livres d’images. Il avait évidemment absolument raison sur ce point. Presque à tout moment le spectateur est bluffé par la grandeur, la puissance, la force des décors et des mouvements de foule. Il y a quelque chose de grandiose dans la description de ce monde glaçant où la pauvre humanité est divisée en deux catégories : les pauvres, accablés de travail, écrasés de fatigue, si soumis qu’ils marchent à grand peine et gardent continuellement leurs têtes baissées et les riches qui vivent à la surface de la ville qui jouent, flirtent, dansent, s’amusent dans l’indifférence complète au sort des bêtes de somme qui travaillent pour eux.

Au sommet de la pyramide sociale Joh Fredersen (Alfred Abel) est le père de Freder (Gustav Fröhlich) qui découvre par hasard la réalité sociétale et décide de la modifier. Serait-ce lui le Médiateur entre oppresseurs et opprimés que la jeune Maria (Brigitte Helm) annonce aux ouvriers exploités et exaspérés qui se réunissent dans les catacombes de la Cité ? Voilà un assez bizarre salmigondis intellectuel qui emprunte ce qu’il peut au christianisme, y compris les paroles terrifiantes de l’Apocalypse de Saint Jean et l’annonce parallèle de la venue de l’Antechrist et de la grande prostituée de Babylone ?

Ajoutons que se greffe là Rotwang (Rudolf Klein-Rogge), sorte de savant un peu fou et très démiurgique qui, renouvelé de Victor Frankenstein, a entrepris de créer un Être-machine. Comme Joh Fredersen lui a jadis piqué sa femme, mère de Freder, Rotwang ne rêve que de détruire le monde en y semant la révolte, donc la répression.

Bon, j’arrête là mon récit puisque l’histoire n’a vraiment rien d’intéressant. Beaucoup d’acteurs sont affublés des tics expressionnistes du cinéma muet, mais quelques uns détonnent en qualité, notamment la très jolie Brigitte Helm qui danse très dénudée de belles bacchanales et aussi le glaçant homme de main Fritz Rasp. Puis la très grande qualité de la musique additionnelle (de Gottfried Huppertz), la beauté des prises de vue et des décors, le souffle épique qui anime nombre de séquences. Donc une, particulièrement terrifiante : celle où Maria/Brigitte Helm est traquée dans les catacombes, poursuivie par le seul halo de la torche électrique maniée par le savant fou Rotwang.

Fritz Lang savait créer ce genre d’ambiances ; voir, de fait Moonfleet et le binôme hindou. Grand talent bizarre.

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