New York-Miami

Pauvre petite fille riche.

On se demande bien pourquoi le film s’appelle New York-Miami et non pas Miami-New York puisque l’action du film remonte vers le nord à partir de la Floride dans une sorte de pérégrination pétillante, pleine de vivacité, mais comme ce mystère n’est pas près d’être résolu, on s’en contente. Et on a plaisir à découvrir un film amusant, charmant, enlevé dont on voit bien d’emblée sur quoi il se dirige, mais dont les péripéties sont bien amenées. De là à s’extasier de ce qu’il ait reçu cinq Oscars (je dis ça pour ceux qui sont impressionnés pour ces bibelots d’inanité sonore), il faut tout de même mettre la pédale un peu plus douce. C’est bien, mais ce n’est pas très bien et c’est tellement prévisible, dès le premier instant qu’on ne peut pas crier à l’excellence.

Et puis si le héros du film, le journaliste fantaisiste Peter Warne, trouve en Clark Gable un interprète idéal, gouailleur, débrouillard, courageux, désinvolte, sarcastique, son pendant (si je puis dire), l’héritière écervelée Ellen Andrews est bien médiocrement incarnée par l’insignifiante Claudette Colbert qui n’a ni la beauté, ni le charme nécessaires. Ça m’ennuie bien d’écrire ça, puisque la dame était française et a accompli une assez jolie carrière Outre-Atlantique, mais c’est la vérité : elle ne soutient pas la comparaison avec Gable, alors même que ce genre de film, fondé sur la mise en confrontation de deux personnalités, de deux modes de vie, de deux caractères aussi fermes l’un que l’autre ne fonctionnent que sur l’égalité des forces.

Donc une jeune oiselle évaporée, chérie et couvée par son milliardaire de père Alexander Andrews (Walter Connolly), s’est prise de passion pour King Whestley (Jameson Thomas), une sorte d’aviateur gandin bien plus âgé qu’elle, qui lorgne évidemment sur ses dollars. Pour le rejoindre à New York, elle déjoue la surveillance de son paternel et de ses gardiens et emprunte un autocar pour New York où elle est attendue par son suborneur. Elle y rencontrera fortuitement le journaliste un peu bohème et, du fait des accidents et incidents qui ne vont pas manquer de se multiplier, elle finira dans ses bras.

L’hyménée terminal sera d’ailleurs symbolisé, au grand scandale des ligues de vertu qui foisonnaient dans les États-Unis des années Trente, par la disparition, dans la chambre du couple, du mur de Jéricho, c’est-à-dire d’une couverture placée sur une corde qui, jusqu’alors délimitait les espaces respectifs des deux voyageurs. Soit dit en passant, je me demande ce que les générations incultes de notre actuel siècle comprendront aux propos conclusifs des hôteliers dont le mari dit à sa femme que les jeunes époux l’ont prié de leur fournir une trompette. Au cas où ce message trouverait de jeunes lecteurs de bonne volonté et désireux de s’instruire (ce n’est pas votre faute si on ne vous apprend plus rien depuis Mai 68, jeunes gens !), il faudra vous reporter au sixième livre de l’Ancien Testament, le premier livre historique, celui de Josué. (6 ; 2-5).

Le plus réussi du périple est l’effarement de la riche Ellen, à qui tout a été facile et qui ne connaît rien de la vie, avec la rudesse du quotidien ; il y a une scène délicieuse où, mourant de faim et le couple n’ayant plus un sou vaillant, Peter va chaparder des carottes crues dans un champ et les offre à sa compagne stupéfiée qu’on puisse manger ça. On dit d’ailleurs que la capacité de Clark Gable à dévorer les carottes tout en parlant aurait inspiré le personnage de Bugs Bunny ; on dit aussi que, par deux fois retirant sa chemise et apparaissant torse nu, il aurait fait chuter les ventes de maillots de corps (de marcels ou de pompe-sueur, si vous préférez). Voilà qui dit assez le succès du film de Frank Capra et sa capacité à installer autour de lui presque une mythologie.

Il y a de la vivacité, du rythme et d’excellents dialogues bien emmenés. Ainsi celui-ci, après que Peter/Gable ait lamentablement échoué alors qu’il prétendait avoir des trucs et gestes irrésistibles du pouce pour l’auto-stop ; Ellen se pose alors au bord de la route et n’a qu’à soulever un peu haut sa jupe pour qu’une voiture freine brusquement ; Peter est un peu humilié et sans doute presque un peu choqué. Et elle, triomphante : J’ai prouvé que la jambe est plus forte que le pouce ! Et lui, aigre : Pourquoi n’avez-vous pas tout enlevé ? Vous auriez arrêté quarante voitures ! Et elle, imperturbable : J’y penserai quand nous aurons besoin de quarante voitures.

Film léger, mais plein de charme et d’insouciance ; mais on sait bien que c’est dans les pires époques historiques (là, en 1934, la Grande crise) que le cinéma a le plus de talent pour faire oublier la vie quotidienne.

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