Nosferatu, eine Symphonie des Grauens

Die Todten reiten schnell

Je sais, je sais, Nosferatu est un monument du cinéma, un film qu’on est sommé d’admirer sauf à passer pour un Béotien. C’est-à-dire pour quelqu’un qui n’a pas compris que la naissance du cinéma est passée par là et que Murnau est passé par là aussi, inventant des tas de procédés qui plus tard feront florès et ouvriront des tas de chemins à la grammaire cinématographique actuelle. Autrement dit pour quelqu’un qui n’a rien compris à la marche paisible et insistante du progrès. Remarquez, je ne dis pas que tout cela soit tout à fait inexact. Il y a dans le film une vigueur, une aisance, une maîtrise qui n’est pas qu’un balbutiement et qui montre que le cinéma muet pouvait parvenir à transmettre des émotions et des inquiétudes.

N’empêche que – dût mon affirmation me valoir le mépris des intégristes et thuriféraires des temps premiers du 7ème art -, il manque tout de même là quelque chose de très important, davantage important encore que le dialogue : il manque le son. Et ce ne sont pas les élégants artifices employés pour pallier cette absence, les partitions musicales plaquées sur les images, si réussies qu’elles peuvent être, qui compenseront cette vie inhérente aux images. On supporte bien plus facilement l’absence de couleur (après tout notre vie n’est pas toujours en quadrichromie et la pénombre et l’estompe y sont souvent présents) que celle des bruits, finalement.

Cela étant dit, reconnaissons au film de Friedrich Wilhelm Murnau le mérite de respecter à peu près exactement la trame du gigantesque roman de Bram Stoker. À une exception près, qui n’est tout de même pas négligeable : pour avoir lu jadis et naguère une bonne demi-douzaine de fois le roman (et me préparer à le relire encore dans l’édition de La Pléiade), je ne retrouve pas du tout un certain esprit vénéneux et terriblement érotique. Car sans être aussi explicitement séduisant que le seront plus tard Bela Lugosi et surtout Christopher Lee, le Dracula de Stoker est un homme grand, nullement contrefait, doté d’un charme très viril et très étrange… On ne peut dire que ç’ait été le cas de Max Schreck (dont le nom, en allemand, signifie Terreur, il me semble). En revanche y figure un épisode admirable qu’ont, il me semble, négligé toutes les adaptations de la Hammer, à grand tort : le journal de bord du bateau sur qui s’est embarqué le Vampire et qui fait route inéluctablement des Carpates vers l’Occident alors qu’y périssent successivement tous les matelots vidés de leur sang.

Il est certain que lorsqu’il a voulu rendre un pieux hommage au film de Murnau, le plus jeune Werner Herzog s’est appliqué à retrouver et même à copier (ceci dans un esprit de révérence et d’admiration) certaines des séquences qui ont compté dans son imaginaire. Et de fait, au delà des outrances du cinéma muet, de ses mimiques et singeries visuelles, il y a de grandes beautés encore primitives et plus tard mieux développées par Herzog. Dans ces empires de nuages qui surgissent au dessus des montagnes hostiles et envahissent sévèrement l’espace ; dans ces ruines rogues, orgueilleuses, altières, du château du comte Orlock ; dans ce voilier désormais sans équipage qui entre en glissant souplement dans le port de Wisborg (en fait, Brême). Et puis la musique de Galeshka Moravioff que j’ai écoutée dans l’édition DVD que je possède a de singulières ressemblances avec celle de Popol Vuh dans le film de Werner Herzog.

Donnons à crédit au réalisateur d’avoir mis en place une narration souple et intelligente où l’on passe sans difficulté aucune sur tout ce que l’on pourrait appeler les théâtres d’opération : la maison où Ellen Hutter (Greta Schröder) se morfond en attendant le retour de son mari et commence à ressentir la puissance de l’influence du monstre, la course effrénée de ce mari, Thomas (Gustav von Wangenheim), la cellule de l’asile d’aliénés où Knock (Alexander Granach), le Renfield du roman attend passionnément l’arrivée de son Maître, le voilier maudit où, devant le capitaine horrifié et qui s’est ligoté au mat pour ne pas faillir, surgit Nosferatu… Magnifiques images qu’il faut regarder, comme le voulait Murnau dans la version coloriée où chaque teinte exprime une situation différente et explicite les heures du récit…

J’allais oublier d’écrire combien les textes des cartons sont magnifiques ; tout le monde a en tête le sublime Quand il eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre, mais ceci n’est pas mal non plus, n’est-ce pas ? : Il est des mots lugubres comme l’appel d’un oiseau de la mort. Garde toi de les dire ou ta vie sera peuplée d’ombres et de fantômes qui hanteront tes rêves et se nourriront de ton sang.

 

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