Paris mange son pain

Pluie tranquille.

Ah vraiment Jacques Prévert ne s’est pas foulé, ne s’est pas cassé la bobinette pour écrire le commentaire de ce court métrage (17 minutes) de son frère Pierre ! Cette suite de jolies vignettes nostalgiques sur le Paris enfui de 1958 aurait d’ailleurs gagné à se dérouler sans texte. Car celui du Grand poète Jacques Prévert n’est ni spirituel, ni subtil, ni poétique : on sent l’exercice obligé , pour faire plaisir au petit frère moins doué. Et d’ailleurs Germaine Montero, qui dit le texte, a bien du mérite pour le coller au mieux sur des images charmantes.

Car ces dix-sept minutes d’images sont charmantes, il est vrai, variées, originales, bien montrées et bien montées. Une journée de Paris qui commence tôt, à l’heure où tous dorment, et où un soupirail éclaire la nuit et qui sent bon… Si bon le pain qui monte et qui cuit et qui embaume… Que ceux qui ont été jeunes et se rappellent, lorsqu’ils revenaient chez eux au petit matin, ces arômes rares s’émerveillent devant ce métier nocturne, difficile, usant, (et rémunérateur) qui est celui de nourrir les hommes…

Heures matutinales, Paris qui se réveille : la femme du boulanger ouvre la boutique, les bistrots accueillent leurs premiers habitués. Dans les cinquième sans ascenseurs, on houspille les enfants pour qu’ils viennent boire leur café au lait et les larges tartines beurrées qu’on y trempe. Brouhaha fastueux des Halles, celles de Baltard, les grands étalages de légumes, les chevillards qui vendent, les Forts qui portent des carcasses de bœufs…

On sent assez bien qu’il fait froid et grisaillant et pluvieux ; on est à la fin de novembre, au début de décembre, aux temps où l’on se demande si le soleil reviendra jamais et la douceur de la vie. En même temps la rue grouille : on est en plein cœur de la Mouffe, dans l’étroit couloir urbain que, la même année 1958 Agnès Varda filmera avec plus d’attention et de tendresse (L’Opéra-Mouffe). Le petit peuple de la rue, les commerces qui, aujourd’hui encore, foisonnent : boucherie, poissonnerie, fruits et légumes qui emplissent les étals…

Et Pierre Prévert picore ici et là, au gré des heures qui passent ; les restaurants populaires, la gamelle qu’on fait réchauffer sur le chantier, le casse-croûte sur l’établi, dans l’atelier, les restaurants à self-service, les cantines, à l’école ou dans les entreprises, le sandwich qu’on dévore sur un banc, le goûter d’anniversaire, le banquet de mariage, la fine cuisine, quai de la Tournelle de La tour d’argent, la soupe populaire, les baraques de la fête foraine, les clochards qui saucissonnent, les fêtards qui banquettent aux Six joursdans le Vel d’hiv‘ qu’on n’avait pas encore démoli, les bébés qui reçoivent leur premier biberon à la maternité et même la soupe à l’oignon qu’on déguste aux premières heures, au Pied de cochon, rue Coquillière. Et même la boutique chic de Pétrossian, le saumon finement tranché et les grosses boîtes de caviar…

Tout cela en 17 minutes ; pour se souvenir et regretter que Jacques ait cru devoir épauler Pierre

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