Retour vers le futur

L’aiguille creuse.

Le voyage dans le temps et son corollaire, le paradoxe temporel n’ont cessé de séduire et de caresser les esprits romanesques, sans doute bien davantage que les cerveaux scientifiques qui doivent n’en pas voir la possibilité. Au cinéma, il y a un peu de tout, du très bien (Brigadoon de Vincente Minnelli) à l’insignifiant (C’est arrivé demain de René Clair) en passant par l’attrayant (François 1er de Christian-JaqueLes Visiteurs de Jean-Marie PoiréCamille redouble de Noémie Lvovsky). J’ai pourtant l’impression que si l’on interrogeait comme ça, au débotté, sur ce thème, un quidam dans la rue, il évoquerait Retour vers le futur, qui eut tant de succès qu’il y eut deux suites et qu’un quatrième film est même annoncé.

Et pourtant, de tout ce que je viens de citer, le film de Robert Zemeckis est, à mon sens, ce qu’il y a de plus médiocre. Non que l’intrigue soit plus mauvaise qu’une autre : elle s’appuie sur l’assez classique effet du paradoxe du grand-père, énoncé avec grand talent par René Barjavel dans son roman Le voyageur imprudent où il est ainsi expliqué : Il a tué son grand-père. Donc il n’existe pas. Donc il n’a pas tué son grand-père. Donc il existe. Donc il a tué son grand-père. Et ainsi de suite. Il y a cela, dans Retour vers le futur puisque le jeune héros de 1985, Martin McFly (Michael J. Fox), projeté trente ans auparavant, en 1955, est à deux doigts de séduire sa propre mère. On voit donc tout l’aspect scabreux, dangereux, ambigu que le film pourrait avoir.

Mais le monde manque de producteurs audacieux, de réalisateurs téméraires et de scénaristes casse-cou : on n’ose pas pousser les choses au bout et faire retentir les trompettes aigres de la catastrophe : dans tous ces films, les choses s’arrangent toujours alors qu’il y aurait des mines dramatiques à faire exploser (vous imaginez-vous comme Jacquard/Clavier projeté dans l’horreur du début du 12ème siècle ?). Et dans le film de Zemeckis, on reste donc dans la grande correction, en tutoyant à peine l’obstacle. C’est finalement un film de teen-agers, mais plutôt moins inventif, grossier et jouissif que la série American pie.

Je dois dire que je ne vois pas très bien, à part sa fluidité purement merchandisée ce qui a pu séduire dans Retour vers le futur. La dégaine hirsute et exaltée du savant génial et fou Emmett Brown (Christopher Lloyd) ? Les courbes rageuses du bolide automobile DeLorean ? L’ingéniosité des protagonistes pour capter la folle énergie d’un orage pour alimenter les machines ? Tout cela et un peu d’autres choses ? On ne voit pas trop tant tout cela est paisible, formaté, terriblement banal.

C’est d’un classicisme plutôt pesant. Il n’y a pas beaucoup d’idées et ça passe sans aspérité et sans ennui. La question, la seule question qu’on peut se poser est de savoir pourquoi ça a rencontré un succès pareil.

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