Sept vies

La fontaine du caramel mou.

La sauvagerie intrinsèque du monde moderne, si cruel pour les sinistrés de la mondialisation, pour les vieillards abandonnés dans les mouroirs, pour les populations chassées de chez elles par l’Islam terroriste, va de pair avec la cucuterie sucrée. Le paradoxe n’est d’ailleurs qu’apparent. Il faut bien qu’une société sans repères fasse mine de retrouver des bases dans une apparente gentillesse dispensée de façon gnangnan, larmoyante et inutile. D’où le succès des marches blanches et des amoncellements fleuris sur les lieux d’un drame (revoir 38 témoins de Lucas Belvaux : tout le monde s’est bouché les oreilles et tout le monde pleurniche).

  C’est sous cet éclairage et dans cette orientation qu’il faut regarder le film de Gabriele Muccino qui est absolument archétypique d’un cinéma consensuel, finalement très roublard. On commence par la fin, par le twist final, si je puis dire, celui qui va glacer le spectateur et faire larmoyer la spectatrice : au moment où tout paraît aller pour le mieux, dans l’amour réciproque et vers l’hyménée des deux personnages principaux, Tim Thomas (Will Smith) et Emily Posa (Rosario Dawson), tous les fils un peu sibyllins noués au long du récit se défont, s’expliquent et se dramatisent.

Sans tout à fait trahir les mystères du scénario, on peut en donner les bases : obsédé par l’accident de voiture qui a coûté la vie à sa femme et à d’autres automobilistes et dont il est absolument responsable, Thomas/Smith, présenté comme un agent du fisc, paraît avoir voué son existence à faire le Bien à sept personnes qu’il ne connaissait pas auparavant. Comme nous sommes en plein Carême, je me disais que je ne pouvais pas penser du mal de ce bon Samaritain, même si d’emblée cette gentillesse rose et miellée me paraissait plutôt suspecte.

Et d’une habileté tout autant suspecte. L’histoire paraît directement issue d’un de ces funestes ateliers d’écriture où on prétend vous apprendre à rédiger en dosant justement des ingrédients dramatiques au moyen de recettes éprouvées : ça me donne exactement la même impression, d’ailleurs, que les recettes de cuisine télévisée qui font florès sur toutes les chaînes : tout est si parfaitement huilé qu’on demeure très extérieur. Les bons sentiments largement exposés à l’écran n’aboutissent pas à la moindre émotion. Je le répète, on se dit Y’a un truc !.

En bout de ligne, le film s’emballe et devient absolument ridicule et même délirant. On est dans la même nunucherie que dans un autre film étasunien à succès, Magnolia. Il faut avoir bien du mauvais goût pour s’émerveiller là-dessus.

Parce que lorsque j’aurai complété en indiquant que parmi les personnages secondaires et secourus, il y a un gentil aveugle pianiste, Ezra (Woody Harrelson), qui va retrouver la vue, une maman latino battue, Connie (Elpidia Carrillo) qui va retrouver une maison, un jeune Noir, Nicolas, qui va recevoir une greffe de moelle osseuse et que le gros chien danois d’Emily est végétarien et n’est alimenté – la pauvre bête – que de tofu et de brocolis, il me semble que j’aurai fait le tour de notre charmant monde moderne, le monde du Care, de cet exaspérant Prenez soin de vous ! que chacun vous murmure avec un grand sourire idiot.

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