Si Paris nous était conté

L’esprit de Paris.

Même si c’est plein de merveilles de drôlerie et d’esprit, même si la distribution est invraisemblablement nombreuse et éclatante (que les amateurs s’amusent, ici et là, à reconnaître, jouant des séquences de quelques secondes, des actrices et acteurs célèbres, – Danielle Darrieux, Françoise Arnoul, Odette Joyeux, Julien Carette -, même si c’est un beau, noble, émouvant film d’amour pour Paris et pour la France – les plus grandes et véridiques amours de Sacha Guitry -, ça n’atteint pas, et de loin, le niveau de Si Versailles.

Sans doute parce qu’à vouloir trop embrasser, Guitry étreint mal ; l’histoire de Versailles, déjà plus limitée dans le temps, est celle d’un château, d’une demeure. Si grand qu’il est, le plus beau palais du monde offre des bornes, des limites, un cadre. Mais Paris !

EKaZVouloir faire l’histoire de Paris, c’est faire l’histoire de l’esprit de Paris ; c’est d’ailleurs à peu près ce que dit Guitry, qui place dans la bouche de Rose Bertin, la plus délicieuse modiste et couturière du 18ème siècle, très bien interprétée, comme de coutume, par l’excellente Sophie Desmarets, qui naquit à Saint-Flour Être de Paris, ce n’est pas y naître, c’est y renaître, ce n’est pas fatalement y avoir vu le jour, c’est y voir clair. Mais l’ampleur du propos, son caractère un peu abstrait, et peu compréhensible aux malheureux qui n’y vivent pas rend difficile d’égaler le parfait succès de Si Versailles.

2951En d’autres termes, ça part un peu dans tous les sens, au fil d’un récit sans logique temporelle, ça saute allègrement les siècles et enjambe la chronologie ; ce n’est pas vraiment gênant, puisque c’est annoncé tel et que Guitry se soucie, moins encore là qu’ailleurs, de la rectitude un peu pionne des livres d’histoire. Après tout qu’en quelques secondes on passe de la genèse (Paris commença de la façon suivante: c’était une île qui affectait un peu la forme d’un bateau) et de quelques images pompeuses (Sainte Geneviève sauvant la ville des Huns) à la rogne de quelques citadins grognant contre l’occupation anglaise et attendant l’intervention miraculeuse de Jeanne d’Arc, qu’on suive, en vers libres et sonores, les aventures de quelques uns de nos grands Rois et de nos profonds politiques (Louis XI, François Ier, Richelieu) en les mêlant à des histoires galantes (Agnès Sorel/Danielle Darrieux -, Gabrielle d’Estrées/Michelle Morgan -) ou drôlatiques (les évasions multiples de Latude), c’est même très bien ; on y retrouve quelquefois la fantaisie de Remontons les Champs-Elysées, mais, je le redis, ça manque de structure. Et ce ne sont pas les apparitions, en trouvère sans voix de ma tête de Turc habituelle, le niaiseux Gérard Philipe qui me feront changer d’avis là-dessus.

Et puis ça souffre d’être trop filmé en studio, avec de trop rares images de ce Paris qui est censé être célébré…

s_140045adjemovapariaQuelques émerveillements qu’un film présenté à un grand public en 1955 ait pu évoquer, sans développer (ou mettre un carton d’information), Commynes, Diderot, Montesquieu, Chamfort, Rivarol, Fontenelle, ait pu, sans même en citer la source, mais en étant certain que tout le monde le reconnaîtrait, et reconstituer en une image élégante, autour de Renée Saint-Cyr le célèbre tableau de Winterhalter, L’Impératrice Eugénie et les dames de sa cour dit assez la décadence actuelle de l’instruction publique.

Belles séquences aussi, de l’innommable procès de Marie-Antoinette et des propos des buveurs de sang (Il faut la dépecer en quatre-vingt trois morceaux pour en envoyer aux quatre-vingt trois départements) et de la dignité de la Reine, extrêmement bien interprétée par Lana Marconi, ultime épouse de Guitry.

Pour un film de deux heures, c’est un peu juste…

Leave a Reply