Six femmes pour l’assassin

Une dernière pour la route ?

On s’accorde assez souvent pour dire que Six femmes pour l’assassin est l’acte de naissance, en 1964, du giallo, ce genre cinématographique qui trouva un riche terreau dans l’Italie des années 60 et 70 et dont le nom, jaune, vient, paraît-il de la couleur des livres policiers à bon marché qui en inspiraient souvent les intrigues. On peut penser aussi que Mario Bava en avait, l’année précédente, avec La fille qui en savait trop, donné les prémisses, mais il est certain que Six femmes marquait d’emblée une sorte de perfection et ne serait égalé, sinon surpassé, qu’avec les films de Dario Argento un peu plus tard. En tout cas voici posés les fondements : une suite de meurtres sauvages qui frappent de jolies filles plus ou moins dénudées, assassinées par de mystérieux tueurs souvent avec des instruments très inventifs et des raffinements sadiques.

En fait la trame policière est le cadet des soucis de Mario Bava au contraire de l’accumulation des cadavres et des circonstances esthétiques des meurtres ; on pourrait même dire, avec Six femmes pour l’assassin que le suspense est à peu près négligé : le titre du film dit bien clairement qu’on n’en aura pas fini tant que la demi-douzaine ne sera pas atteinte ; et, pour le spectateur un peu frotté au cinéma de violence, l’identité bifide du tueur n’est pas bien compliquée à deviner. Certes le réalisateur brouille un peu les pistes et commence par nous conduire sur le faux sentier d’un trafic de drogue, puis, bifurquant un peu, sur celui de dettes non remboursées.

En fait c’est bien plus simple ; contrairement à bon nombre de films de massacre, il n’est pas non plus fait appel à la psychanalyse, à de lourds secrets de famille, à des traumatismes d’enfance qui transformeraient à certaines périodes un brave garçon ou une charmante fille en psychopathe sanguinaire. Tout bonnement c’est une bien banale histoire de fortune qu’on veut conserver ou s’approprier, comme, d’ailleurs, dans La baie sanglante en 1971, autre belle histoire de massacres inventifs, il s’agissait simplement d’une affaire immobilière.

On peut également noter que tous les personnages ont quelque chose à se reprocher : trafic ou consommation de drogues, chantages, escroqueries, spéculations, vénalités diverses. Mais aussi qu’aucun d’eux n’est bien caractérisé, bien défini. On n’a d’ailleurs pas le temps de s’attacher à quiconque, tant les zigouillages scandent le film, tant on passe vite de l’une à l’autre victime. Et même l’Inspecteur de police Zanchin (Giuliano Raffaelli) – qui arrive toujours après la bataille, au demeurant – n’a aucune surface.

Sans appel au fantastique ou à la folie et sur la simple base de la banale soif de l’or, comment réaliser un film-souche qui est une sorte de perfection du genre ? Tout simplement en unissant une musique parfaite (de Carlo Rustichelli) à un festival baroque de prises de vues et d’atmosphères qui, pour longtemps, définiront l’imaginaire des gialli : grands jardins battus par le vent, ombres propices au tueur, demeures patriciennes somptueusement meublées, longues rues vides. Et à un travail sur les lumières et les couleurs tout à fait extraordinaire. De savants glosateurs se sont penchés sur la prévalence de ces mauves, de ces pourpres, de ces bleus d’acier qui viennent ici et là heureusement se marier avec le vert vif des feuillages et avec la présence, comme un rappel sanglant d’objets rouge vif : ici un téléphone, le cuir d’un journal intime…

La maison de Haute couture Christian est installée dans un beau manoir à proximité de Rome. Elle est dirigée par une riche veuve, la comtesse Cristina Como (Eva Bartok) dont le mari est mort deux ans auparavant dans un accident. La comtesse est secondée par un directeur administratif Massimo Morlacchi (Cameron Mitchell) – qui est aussi son amant – et assistée par deux modélistes qui n’apparaissent pas très nets, Cesare Lazzarini (Luciano Pigozzi) et Marco (Massimo Righi). Autour d’eux s’agite une nuée de mannequins, plus ou moins volages et dont l’un a une liaison avec le marchese Morelli (Franco Ressel), une autre pourvoit en cocaïne l’antiquaire Franco Scalo (Dante DiPaolo) qui est son amant mais qui l’a été aussi d’Isabelle (Francesca Ungaro) qui sera la première victime du tueur et qui faisait chanter beaucoup de monde.

Si on ne me suit pas dans cet entrelacs, ça n’aucune importance puisque, comme énoncé plus haut, l’intérêt du film est d’attendre les raffinements des assassinats successifs, au détriment de Nicole (Ariana Gorini), Peggy (Mary Arden), Greta (Lea Lander), Tao-Li (Claude Dantes).

Avec Isabelle, ça fait cinq. Et la sixième ? Vous ne voudriez tout de même pas que je vous le dise ?

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