Susana la perverse

Vipère dans la maison.

Dans la cruelle, violente, méchante période mexicaine de Luis BuñuelSusana la perverse intervient juste après le grand drame pesant Los Olvidados qui se penche sur les horreurs de la ville métropole sauvage. Le film suivant s’ancre dans la campagne, précisément dans une hacienda qu’on peut juger assez prospère, opulente, bien tenue, pleine de servantes déférentes et d’ouvriers agricoles (peines) qui obéissent au doigt et à l’œil aux ordres du propriétaire, grand seigneur rural que tous respectent.

Don Guadalupe (Fernando Soler) dirige avec rigueur, sévérité mais honnêteté une grande hacienda. Sa direction est juste et bienveillante et tout le monde estime sa capacité. Autour de lui et dévoués à lui, il y a de nombreux péons, dirigés par le régisseur du domaine, Jésus (Víctor Manuel Mendoza). Jésus qui est fondamentalement fidèle à son patron Guadalupe. À ses côtés, il y a Dona Carmen (Matilde Palou), sa femme chérie, très éprise de son mari et très soumise à lui. Et la pépiante servante Félisa (María Gentil Arcos), superstitieuse insupportable mais férocement attachée à ses maîtres. Et bien sûr Alberto (Luis López Somoza), le fils unique, que Félisa a vu naître. Alberto, jeune homme sage et travailleur étudie l’agronomie à Mexico mais vient de décider de revenir à l’hacienda pour mettre en pratique ses connaissances en immunologie, entomologie, ainsi de suite.

Une maison harmonieuse, sereine, paisible, où chacun paraît être à sa place et en être satisfait ; les seuls soucis apparents sont ceux de la mort du jeune poulain que la jument préférée de Don Guadalupe vient de mettre au monde.

Et voilà qu’on loge Susana (Rosita Quintana) dans une des bonnes chambres du domaine et qu’on lui dit qu’on va la garder ; ceci parce qu’elle raconte qu’elle avait été battue et chassée par son parâtre puis emmenée par un inconnu pour en faire on sait trop quoi ! La générosité de Dona Carmen la pousse à l’attendrissement et elle parvient à surmonter les réticences de son mari, qui voudrait placer la jeune fille dans une école.

On comprend bien sûr vite ce qui va se passer : la beauté sauvage, l’animalité de Susana, son absence de scrupules va faire entrer la maison dans une spirale maléfique. Car elle sait s’y prendre, la mâtine ! Sensible à la puissance visible de Jesus le régisseur, elle comprend bien qu’il lui sera plus avantageux de séduire le doux Alberto, trop souvent plongé dans ses livres ; mais elle voit bien aussi que le rigoureux Don Guadalupe, malgré son honnêteté a quelquefois sur elle des regards appuyés.

Avec une lenteur savante et méchante elle introduit le trouble dans la maisonnée, jouant avec habileté des pouvoirs qu’elle a sur tous : le désir brutal de Jésus, l’émerveillement puceau d’Alberto, la générosité de Dona Carmen, même la rigidité bienveillante de Don Guadalupe, qui résiste tant qu’il peut, mais finit par succomber à la tentation. Susana amplifie les contradictions, attise les ambiguïtés, fait exploser les incertitudes…

Tout cela pourrait tourner au plus mal, dans le sang, si familier aux Mexicains. La police survient, qui retrouve Susana échappée. Tout paraît revenir dans l’ordre immuable des choses. Pourtant quelque chose s’est passé, s’est cassé. Tous vont garder dans la bouche un goût amer ; un nuage gris sale va cacher le soleil. Pour longtemps, en tout cas.

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