Symphonie pour un massacre

Des pissenlits par la racine.

Il y a quelques années, j’avais été très heureusement surpris en regardant un peu par hasard Rififi à Tokyo (1963), deuxième film de Jacques Deray, au titre évidemment inspiré de Du rififi chez les hommes de Jules Dassin, comme Symphonie pour un massacre, troisième film, fait écho à Mélodie en sous-sol d’Henri Verneuil. Avant son tonitruant succès public avec La piscine en 1969, Deray menait une carrière sans bruit, sans doute vouée à des salles très secondaires, alors qu’il méritait bien mieux, comme le démontrent ces deux excellents films policiers de 1963. Des policiers assez brutaux, violents, peuplés de gangsters sans pitié, qui ont des complices mais qui n’ont pas d’amis. C’est certainement plus proche de la réalité que les récits qui mettent en scène des amitiés fidèles et définitives, comme dans Touchez pas au grisbi.

D’une façon générale, il y a deux acteurs qui sont absolument remarquables dans le rôle de franches canailles, bien plus profonds et puissants que lorsqu’ils interprètent de braves types : Claude Dauphin, parfait de veulerie et de cruauté dans Casque d’or et plus tard dans L’important c’est d’aimer ; et Charles Vanel dans, par exemple, Le salaire de la peur ou dans L’aîné des FerchauxVanel était la tête d’affiche de Rififi à Tokyo ; dans Symphonie pour un massacre, il partage la vedette avec Dauphin, mais aussi avec Michel Auclair et José Giovanni – l’un et l’autre un peu en retrait toutefois – et surtout avec Jean Rochefort qui est celui qui manipule les cartes.

Dût la chose indigner les amateurs de ce très grand comédien – dont je suis d’ailleurs – je ne le trouve pas très convaincant en vrai salaud manipulateur, capable d’encore moins de scrupules que ses complices, qui n’en ont déjà aucun ; c’est dire ! Rochefort, né en 1930, n’était pourtant pas en 1963 un perdreau de l’année mais il courait encore le cachet dans de bien petits rôles ; il me semble que sa notoriété, son début de notoriété, est survenue en 1964 avec Angélique marquise des anges où, dans le rôle mineur du policier Desgrez, il crevait l’écran. Il me semble en tout cas qu’il n’était pas encore tout à fait mûr pour tenir le devant de la scène, comme il doit le faire dans cette Symphonie. C’est comme ça : il y a des gens qui éclatent à vingt ans, et d’autres qui doivent attendre quinze ans de plus (Noiret et Marielle sont un peu dans le même cas, au demeurant).

Dans une belle atmosphère en Noir et Blanc, pleine des exercices obligés du genre (voitures rapides, boîtes de nuit qui servent de couverture à de plus rémunérateurs trafics, tables de jeu plus ou moins clandestines, gros pardessus ou trench-coats épaulés, staccatos des trains de nuit), voilà une bien agréable machinerie meurtrière.

Cinq canailles qui ont un peu de poids sur la place de Paris, mais ne sont pas au sommet de la pègre, qui sont liés par un jeu d’intérêts croisés, s’associent plus fermement pour acquérir une grosse cargaison de drogue, mettant chacun une part égale au pot. Ce sont Paoli (Vanel), Valoti (Dauphin), Clavet (Auclair)), Moreau (Giovanni) et Jabeke (Rochefort). Moreau est chargé par ses complices d’aller chercher la came à Marseille, muni de la grosse galette. Mais Jabeke (qui est par ailleurs l’amant de la femme (Daniela Rocca) de Valoti/Dauphin) a monté une intelligente embrouille pour s’approprier le magot.

Ça fonctionne assez bien jusqu’à ce qu’il soit une nouvelle fois prouvé (au cinéma !) que le crime parfait n’existe pas et qu’il paye encore moins. Mais on a passé un bien bon moment.

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