Un été inoubliable

Les dieux ont soif.

Au sud-est de l’Europe, ces Balkans où les peuples sont mélangés dans un chaudron de sorcière bouillant, où les guerres sont féroces, les frontières toujours bouleversées, la sauvagerie à peine dissimulée. À côté des Slaves du Sud (Yougo-slaves et Bulgares), il y a les Roumains, qui sont des Latins. Et qui ne sont pas les Gitans, qui ont compris la bonne affaire qu’était l’Union (ah ah ah !) européenne, viennent mendier ou se prostituer ou voler du cuivre en Occident et repartent en bénéficiant de l’aide au retour. La Roumanie, avant la nuit communiste, c’était Bucarest, la capitale, qu’on appelait Le petit Paris, de grands écrivains, Eugène Ionesco ou Émile Cioran, de grandes familles francophiles et francophones, les Brancovan (Anna de Noailles était une Brancovan), les Soutzo (Hélène, femme de Paul Morand), les Cantacuzène, les Paléologue…

Marie-Thérèse von Debretsky (Kristin Scott Thomas), la merveilleuse héroïne d’Un été inoubliable est issue de cette aristocratie (un peu cosmopolite puisque son père est hongrois – vieille animosité entre les deux peuples). Elle a épousé d’amour vif Petre Dumitriu (Claudiu Bleont, jeune officier un peu rigide (formé à l’école prussienne) mais promis à une brillante carrière ; le couple a quatre beaux enfants. L’histoire, contée par l’un d’entre eux et conclue par lui, se passe en 1925.

La trop belle, trop rieuse, trop gaie Marie-Thérèse séduit ceux qui l’approchent, la désirent et jalousent son mari qu’on juge un peu effacé, mais qui n’est que réservé et follement aimé par sa femme. Un soir, lors d’un bal, le général Ipsilanti (Marcel Iures), surnommé Télescope, parce qu’il est très grand et porte monocle se fait spirituellement remettre à sa place par la jeune femme. Le capitaine Dumitriu, qui avait demandé sa mutation pour ne pas demeurer dans l’atmosphère malsaine de sa garnison, est immédiatement envoyé avec sa famille dans une région perdue et dangereuse : la Dobroudja dont la Roumanie s’est emparée au détriment de la Bulgarie en 1913, à peine douze ans auparavant. Une région parcourue de comitadjis, résistants bulgares et de contrebandiers macédoniens, les uns et les autres également féroces : leur spécialité est de découper les lèvres de leurs prisonniers avant de les tuer.

Plateau avec quelques maigres vallonnements, végétation pelée, le bout du monde ; une petite maison mesquine, inconfortable. On pouvait prendre jusque là Marie-Thérèse pour une jolie tête un peu capricieuse, charmeuse, pétillante, allumeuse. Ce n’est pas ça du tout. C’est elle qui décide que tout le monde va beaucoup se plaire dans la nouvelle résidence. D’ailleurs, comme plus tard dans les films d’Emir Kusturica, il y a un troupeau d’oies, une tortue, un chien, une vache. Ce qui ravit les enfants qu’accompagne leur gouvernante Eva (Tamara Cretulescu).

La vie s’organise, illuminée par l’intelligence, la douceur, le courage de Marie-Thérèse, tout autant épouse que mère, présente à tous, en tout gracieuse. Mais la violence n’est pas loin ; des partisans égorgent et découpent les soldats d’un poste de garde. Parce qu’il faut bien faire quelque chose, on rafle les habitants du village voisin, qui ne savent pas s’ils sont Bulgares ou Roumains, qui, d’ailleurs, s’en fichent complétement et voudraient bien seulement retourner cultiver leurs pauvres champs. C’est Marie-Thérèse qui les apprivoise, leur sourit, leur redonne de la dignité.

Seulement il faut faire un exemple et montrer aux perturbateurs qui commande. Ordre est donné au capitaine de faire fusiller les villageois, pour l’exemple.

Je ne connais pas beaucoup, dans l’histoire du cinéma, de personnage aussi positif, intelligent, harmonieux que celui qu’interprète, avec un merveilleux talent Kristin Scott Thomas. ; il y a en elle une flamme, une passion, une beauté – intérieure et extérieure – absolument bluffantes. Dans ce film court (1h17), mesuré, intelligent, le rôle et l’actrice sont vraiment bouleversants ; l’histoire est sèche, sa fin, évidente. Mais on la suit jusqu’au bout avec tendresse et admiration.

Pour une fois, le Festival de Cannes a décerné sa Palme d’or (en 1994) avec discernement.

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