Une messe pour Dracula

Qui s’y frotte, s’y pique !

À force de tirer sur tous les ressorts de la grammaire élémentaire stokerienne et d’en épuiser jusqu’à la corde les ressources, il fallait bien que les scénaristes de la Hammer se résignassent (eh oui…) à relier la riche mythologie du Vampire à une horreur sans doute beaucoup plus réelle : l’invocation du véritable Prince des Ténèbres, dont Dracula n’est finalement qu’un épigone ou, plutôt un représentant presque affadi. On s’étonne presque d’avoir à écrire cela, d’autant que, depuis l’admirable début de la série, lors du Cauchemar, la figure du Comte vampire n’a cessé de se noircir ; mais il est vrai que le spectateur en demande toujours davantage et que ses sens blasés exigent à chaque fois une dose d’horreur supplémentaire.

C’est d’ailleurs à peu près la même chose qui anime trois respectables grands bourgeois britanniques, confits dans l’hypocrisie victorienne et le plus absolu puritanisme. William Hargood (Geoffrey Keen), peut-être le plus pervers, Samuel Paxton (Peter Sallis), assurément le plus veule et Jonathan Secker (John Carson), certainement le plus clairvoyant, se retrouvent chaque semaine pour se livrer à de terribles orgies secrètes. Mais la débauche a ceci de constant qu’elle exige toujours davantage d’horreurs pour simplement en maintenir l’intérêt. Parvenus au point où ils sont tout prêts de s’écœurer eux-mêmes, à tout au moins de se lasser, une rencontre inopinée avec un jeune lord déchu (Ralph Bates), renégat de la grande et ancienne famille Courtley, rejetée par elle parce qu’il se livre aux rituels sataniques, leur est occasion d’aller plus loin dans leur chemin d’épouvante, dans leur descente aux enfers.

Ah, ceci, c’est très bien ; il y a longtemps que je professe que l’aspect le plus captivant des histoires qui mettent en scène Satan est la fascination et le fanatisme de ses sectateurs qui sont, finalement bien plus intéressants que l’Ange déchu. Donc les trois débauchés vont aller acheter à grand prix les sortes de reliques – cape rouge et noire, agrafe de col et surtout sang séché – qu’un colporteur grossier a naguère recueilli, par hasard au pied du château de Mitteleuropa où le Comte avait été transpercé lors de sa dernière aventure (Dracula et les femmes). Terreur sacrée qui ne résiste pas à l’appât du gain. Guidés par le lord dévoyé, ils se rendent dans l’admirable, glaciale et dévastée chapelle seigneuriale des Courtley où un rituel sanglant doit avoir lieu. Mais ces bourgeois fascinés par le Mal n’ont finalement pas assez de cran pour aller jusqu’au bout de l’horreur : ils massacrent Courtley ; Dracula va se venger de la mort de son affidé et il entreprend de tuer d’horrible façon les trois compagnons.

Tout cela n’aurait rien que de moral et de satisfaisant si Hargood, Paxton et Secker n’étaient les pères de charmants jeunes gens qui ignorent tout des stupres de leurs géniteurs respectifs mais qui ont noué entre eux les plus doux (et les plus entrecroisés) des liens.

Dès lors on voit bien ce que l’infernale détermination du Comte va entraîner : il ravagera les familles, détruira de charmants hyménées, entrainera dans la plus horrible mort de naïves jeunes filles après les avoir profanées ; d’ailleurs comme dans Dracula et les femmes l’attrait sexuel du Comte est tel qu’il n’a besoin que d’apparaître pour souiller à jamais la virginité de Lucy Paxton (Isla Blair) et d’être bien prêt de le faire pour Alice Hargood (Linda Hayden) qui, finalement, sera sauvée de justesse par Paul Paxton (Anthony Higgins) après bien des massacres.

Malgré des dialogues d’une extrême banalité (là où des trésors de perversité auraient pu être déployés), Une messe pour Dracula ne manque pas de qualités; Christopher Lee y tient sa partie habituelle, même s’il n’est pas très fréquent, les bourgeois démoniaques ont des physionomies extrêmement réussies et la chapelle demi ruinée des Courtley est merveilleusement décorative, en tout cas parfaitement terrifiante.

Mon pèlerinage en terres vampiriques s’arrête là pour le moment. Car, qui sait, il se peut que je trouve quelque intérêt aux Cicatrices de Dracula, jugées minables il y a bien longtemps.

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