Une nuit sur Terre

Histoires de la nuit.

Comme tous les films à sketches, dont les saynètes sont reliées entre elles par un fil ténu, Une nuit sur Terre souffre des inégalités de structure et d’inspiration entre ses différents segments. C’est bien beau de vouloir filmer, en cinq endroits et quatre langues, les pérégrinations nocturnes de conducteurs de taxis qui, en une même nuit, au même moment (mais évidemment dans des fuseaux horaires différents) patrouillent dans la nuit et sont conduits à réaliser des courses invraisemblables pour des clients singuliers. Un temps très proche du mode du taxi, j’avais été passionné par la fascination des chauffeurs de la nuit pour leur aventure. Les larges avenues vides, les lumières jaunes qui donnent à l’obscurité une allure blême et surtout les gens de la nuit qui ont, quoi qu’on en pense, une allure et une façon de vivre bizarres.

Donc cinq histoires parallèles, énumérées les unes après les autres en suivant les fuseaux horaires, de la première, à Los Angeles, qui se déroule à partir de 7 heures du soir jusqu’à la dernière, à Helsinki où il est déjà 5 heures… de la journée suivante. Tout cela sans doute pour dire que, quelle que soit la contrée et le moment de la nuit, l’étrangeté de la nuit peut nous attendre et nous toucher.

Mais Jim Jarmusch n’a pas trop fait dans la dentelle pour présenter ces errances nocturnes et il a assigné à chacune des contrées qu’il visite son image archétypique. Pourquoi pas, au demeurant, si elles ne sont pas trop caricaturales ? Le regrettable, c’est tout de même qu’elles le sont.

À Los Angeles, rencontre improbable entre Victoria (Gena Rowlands), superbe directrice de casting, élégante, sophistiquée, parfaite executive woman et Corky (Winona Ryder), une gamine qui jure comme un charretier, fume comme un steamer et n’a d’autre ambition que de devenir mécanicien comme ses grands frères. À New-York, la ville-monde, bizarre pérégrination où Helmut (Armin Mueller-Stahl), ancien clown venu d’Allemagne de l’Est, à peu près incapable de conduire son taxi (et d’ailleurs à peu près incapable de conduire autre chose que des Trabant) et Yo-Yo (Giancarlo Esposito) quittent Manhattan pour Brooklyn en récupérant au passage Angela (Rosie Perez), belle-sœur de Yo-Yo, au langage encore plus vert que celui de son beau-frère.

On passe sur le Vieux Continent ; voici les segments les plus faibles du film : un conducteur ivoirien (Isaach De Bankolé), après avoir expulsé de sa voiture deux Camerounais (très amusantes caricatures des profiteurs africains, pleins de mépris pour les prolétaires qui ne sont pas de leurs tribus), charge une jeune femme aveugle (Béatrice Dalle qui en 1991, époque du film, était encore présentable) et la questionne sur son infirmité durant tout le trajet. Il est bien maladroit et elle est bien désagréable. Et puis notons que Jarmusch, pour faire aller les voyageurs des alentours de la Nation (station de métro Avron) jusqu’au quai de l’Oise, tout au nord du 19ème arrondissement) les fait passer par le tunnel des Halles ! C’est un plaisir, pour le connaisseur de Paris, de remarquer ces petites impostures ridicules !).

Le pire est à venir ; à Rome un cinglé sexuel, Roberto Benigni, absolument livré à lui-même dans son habituel numéro d’histrion, charge un vieux prêtre malade et, malgré ses réticences,, prétend lui confesser ses aberrations sexuelles, avec des citrouilles (!), une brebis (!!!) et sa belle-sœur (on respire parce que, dans l’appartement de la belle-sœur il y avait aussi un chien et on a imaginé un instant que, après citrouilles et brebis… enfin, vous me comprenez). Le prêtre ne survit pas à ce déballage écœurant.

La dernière histoire qui se passe à 5 heures du matin à Helsinki, est aussi grise et, alcoolisée et ennuyeuse que semble l’être la capitale de la Finlande. Mika (Matti Pellonpää) raccompagne chez eux trois compagnons de beuverie complétement imbibés et dont l’un a quelque raison de l’être. Mais son propre chagrin est peut-être encore pire… c’est grisaillant comme l’aube enneigée qui point à peine après la course…

Le premier récit, à Los Angeles donc, a de la fantaisie, de l’humour, de l’originalité et à sa seule vision, j’étais bien disposé ; mais au fur et à mesure, on sent que le réalisateur perd les pédales ; sans doute la civilisation européenne lui est-elle trop étrangère. On peut toutefois lui accorder d’avoir donné quelques belles images de la Rome nocturne ; mais avouons que ce n’est pas si difficile que ça…

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