Voyage surprise

N’a rien pour étonner.

Tout le monde, à un moment donné, a voulu réaliser un film étrange, biscornu, foutraque, nonsensique, partant dans tous les sens et n’acceptant aucune des règles un peu corsetées du récit classique. Le succès de scandale de Dada et du surréalisme a longuement impressionné beaucoup de créateurs et bien des gens ont cru qu’en employant l’écriture automatique et en publiant des cadavres exquis à tire-larigot ils faisaient œuvre importante en méprisant les sentiers battus. Et pourtant, dans ma longue carrière de lecteur passionné, je n’ai jamais rencontré quiconque qui m’ait parlé de Nadja, le récit emblématique d’André Breton. C’est dire si les briseurs de cadres sont finalement les meilleurs élèves du conformisme.

Au cinéma, cette veine a eu tout de même un peu de réussite, au meilleur rang de quoi je mettrais volontiers le très singulier Drôle de drame de Marcel Carné, charmante ébauche sauvée par le jeu sensationnel (et la haine réciproque) de Louis Jouvet et de Michel Simon. Puis quoi ? J’ai dit il y a peu combien j’avais été déçu par L’affaire dans le sac, film assez mythique de Pierre et Jacques Prévert : en gros, ce n’est pas en faisant n’importe quoi qu’on arrive à quelque chose. Mais la veine couve. Il y a l’équipe des Branquignols qui commettent d’abord un film abominable, mais réussissent bien davantage, sur le modèle du délicieux Hellzapoppin étasunien un petit chef-d’oeuvre dont je suis le thuriféraire absolu, qui s’appelle Ah ! les belles bacchantes.

Parallèlement, les deux frères Prévert poursuivent leur cheminement. Voilà que surgit, au lendemain de la guerre, ce Voyage surprise dont je gage que les bobines dormiraient au fin fond d’un entrepôt s’il n’était signé du nom magique.

Grand amateur de nanards, j’ai regardé jusqu’à plus soif des Berthomieu, des Stengel, des Lacourt, des Montazel dont les noms sont aujourd’hui à peu près oubliés de quiconque (à juste titre, je n’en disconviens pas). En quoi leurs films sont-ils plus médiocres que ce Voyage-surprise qui reprend à peu près tous les codes et les clins d’œil de ceux que faisaient tous ceux que j’ai cités ? Ce n’est ni pire, ni mieux, ça ne révèle ni des superbes intuitions ni des dénonciations allègres. C’est bête mais à peu près regardable, en tout cas si l’on a pour cette France vieillie des lendemains de la Libération des yeux tendres et bien nostalgiques.

Cela étant, il faut tout de même regarder ça sans espérer davantage que de retrouver un monde enfui : pas question de réflexion sur quoi que ce soit et le grand questionnement du surréalisme disparaît devant une sorte de bouffonnerie ni désagréable, ni vraiment attrayante. On a l’impression que Pierre Prévert filme un truc sans importance qui lui a permis et a permis à sa troupe de passer ensemble quelques bonnes semaines de tournage.

En fouillant un peu, je m’aperçois que le film a été adapté de deux sources différentes : une nouvelle d’André Gillois (aussi appelé Maurice Diamant-Berger) et une opérette écrite par Jean Nohain et Mireille. Sachant cela on voit mieux pourquoi c’est tellement décousu et comment deux intrigues sans aucun rapport l’une avec l’autre essayent tant bien que mal de cohabiter et n’y parviennent jamais.

Il est à peine nécessaire de relater ce qui se passe dans Voyage surprise ou à peine : le patron (Sinoël) d’une médiocre entreprise de transport touristique menacée par l’omnipotence de son méchant concurrent Grosbois (René Bourbon) dont la fille Isabelle (Martine Carol) est l’âme damnée a conçu l’idée de voyage-surprise sans itinéraire ni programme. Amusant de voir ce vieil homme enthousiaste peu à peu séduire les voisins et les villageois. Parallèlement il se trouve que a Grande-Duchesse de Stombolie (Piéral costumé en femme rageuse !), chassée de sa principauté, l’a fuie en emportant le trésor public.

J’ai tout dit et ceux qui ont un peu d’imagination peuvent déduire les conclusions de ces prémisses. On a beau reconnaître ici et là des gens qu’on aime bien (de (Roger Caccia à Lucien Raimbourg, de Maurice Baquet à Thérèse Dorny), on a beau retrouver le charme de la France ancienne, on ne découvre pas grand chose à sauver.

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