125 rue Montmartre

Demandez France-Soir, demandez Paris-Presse !

C’est vraiment un bien agréable film de samedi soir, un de ceux qui restaient peu de temps sur les écrans d’exclusivité et passaient vite sur ceux des salles de second rang, mais qui là y demeuraient longtemps et faisaient une bien gentille carrière. Ces films là, dont l’équipe technique était composée de solides manouvriers (Gilles Grangier à la réalisation, Jacques Robert au scénario et même Michel Audiard aux dialogues, moins notoire qu’il le fut ensuite) étaient interprétés par des acteurs solides, aussi. Mais des acteurs en deçà des grandes vedettes, des acteurs qui n’avaient pas encore atteint le haut de l’affiche (Lino Ventura), ne l’atteindraient jamais (Andréa Parisy ou Dora Doll) ou n’y prétendraient jamais parce que l’essentiel de leur activité était au théâtre (Jean Dessailly ou Robert Hirsch).

Une machination de deux amants pour soutirer les sous du mari gênant, ce n’est pas d’une immense originalité et je crois bien que, dans bon nombre de films français des années 50, il y en a plusieurs. La machination, pour être pleinement réussie, suppose qu’un brave garçon, qui n’est pour rien dans la mécanique compliquée de la spoliation, soit accusé et se débatte dans de machiavéliques complications. Je ne dis pas que 125 rue Montmartre soit à ce point de vue un chef-d’œuvre du genre ; bien au contraire le film comporte une quantité d’invraisemblances assez élevée et, si l’on est un peu chafouin là-dessus, on pourrait s’amuser à les relever et à s’étonner des coïncidences, hasards, aléas et rencontres singulières qui font avancer l’action. Assurément l’intérêt du film n’est pas là : on devine tôt, bien trop tôt que le brave Pascal (Lino Ventura) est complétement manipulé par le couple détestable formé par Catherine Barrachet (Andréa Parisy) et Julien (Robert Hirsch), l’homme qui se prétend son mari et qui est en fait son amant. Il n’y a ni surprise, ni émotion et nous autres spectateurs blanchis sous le harnais de ce genre d’histoires sommes tellement ceux à qui on le fait pas que nous ne pouvons que contempler, vaguement sarcastiques, tous les développements de l’intrigue.

Nous sommes donc bien contents de ne pas nous être trompés et bien satisfaits qu’à la fin les choses finissent par s’arranger et que le sympathique garçon, soupçonné à tort, s’en tire aussi bien, aidé, il est vrai, par l’excellent commissaire de police (Jean Desailly) qui a compris d’emblée que l’affaire ne tournait pas comme les amants criminels avaient espéré qu’elle tournerait.

Mais encore plus contents et plus satisfaits de retrouver le Paris de 1959, ses monuments noircis et ses avenues que les élucubrations cyclistes des écologistes qui nous gouvernent n’avaient pas rendu à peu près inaptes à la circulation automobile. Plongée dans un Paris qui savait être une ville moderne, une Capitale, et non pas une annexe des cités de l’Europe du Nord vouées aux déplacements propres. Un Paris qui donne aussi à Gilles Grangier l’occasion de réaliser une sorte de reportage ethnographique sur un quartier et un métier.

Le quartier, c’est précisément celui du titre du film : le 125 rue Montmartre est précisément exactement situé en face du Café du croissant, au coin de la rue du même nom, café où fut assassiné Jean Jaurès le 31 juillet 1914. De tous temps, c’était dans un périmètre assez restreint, le quartier des grands quotidiens et les plus anciens d’entre nous se souviennent encore que France-Soir (qui titrait fièrement être le seul quotidien tirant à plus d’un million était implanté 100 rue de Réaumur, Le Monde au 5 rue des Italiens, L’Aurore au 142 rue Montmartre, tous ces journaux et bien d’autres à un jet de pierre les uns des autres, à quelques encablures de la Bourse devant quoi est toujours installée l‘Agence France-Presse.

Le métier, c’est celui qu’exerce l’honnête Pascal/Ventura : celui de crieur de journaux, métier qui n’existe plus, puisque, comme nous sommes gavés de nouvelles par nos radios, nos télévisions et nos smartphones, nous ne guettons plus avec impatience la parution des journaux qui allaient, jadis, jusqu’à publier plusieurs éditions quotidiennes, lorsque l’actualité le commandait (j’ai le souvenir très net de cela en avril 1961, lors du Putsch des généraux factieux en Algérie). Le dernier crieur professionnel de Paris s’appelle Ali Akbar (ou s’appelait, car il y a bien longtemps que je ne l’ai aperçu) ; d’origine pakistanaise, il exerce ce métier de chien depuis près de 50 ans et il a acquis une véritable célébrité au Quartier latin et du côté de Saint Germain des Prés où il passait tous les soirs devant le Café de Flore et les Deux Magots.

Eh bien si nous ne devions à 125 rue Montmartre que de nous rappeler ce métier là, qui disparaît dans l’oubli et dont l’existence devient à peu près incompréhensible à notre nouveau siècle, ce serait déjà une bonne raison de regarder le film…

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