Meurs un autre jour

Le pire des Bond ?

Après avoir regardé, il y a quelque temps, Le monde ne suffit pas, je pensais avec quelque naïveté qu’il ne pouvait pas y avoir quoi que ce soit de pire dans la geste bondienne. De fait, d’ailleurs, les films ultérieurs, notamment Casino Royale ou Skyfall, l’un et l’autre avec Daniel Craig m’avaient paru rehausser légèrement un niveau en pleine décadence depuis des années. Mais là je découvre Meurs un autre jour, ce qui justifie, d’ailleurs la volonté roublarde des producteurs de revenir ensuite un tout petit peu aux fondamentaux, tant le film de Lee Tamahori est écrasant de suffisance et de nullité. C’est aussi mauvais qu’ennuyeux.

Pourtant l’idée n’était pas mauvaise de placer le combat de James Bond (car toute l’action de Bond n’est qu’un combat contre les forces du Mal) à l’encontre de ce pays singulier, surréaliste et anormal qu’est la Corée du Nord ; on se demande toujours pourquoi les Étasuniens (et leurs caniches occidentaux) vont chercher des noises à des pays archaïques, retardés, souvent ridicules pour prétendre imposer leurs valeurs (il est évident que le nom de l’Afghanistan est le premier qui me vienne en tête), alors qu’ils laissent le nord du Pays du matin calme développer une cinglerie dangereuse. (En fait je pense que l’industrieuse Corée du sud n’a aucune envie de réunification, qui plomberait gravement ses performances économiques bien davantage que l’annexion de l’Allemagne de l’Est n’a gêné l’Allemagne fédérale).

Donc, la Corée du Nord, ce n’était pas mal : un méchant bien identifié et haïssable unanimement, ce n’est pas si fréquent dans notre monde si soucieux de politiquement correct, qui rougirait de dénoncer les dictatures africaines où sévissent tribalisme et corruption. Mais les scénaristes de Meurs un autre jour et son réalisateur Lee Tamahori ne vont pas dans ce sens : comme d’habitude, ils font voguer le spectateur sur toute la surface du monde, passant en un clin d’œil de Hong-Kong à Cuba et de Londres en Islande.

Ce cosmopolitisme est d’ailleurs désormais une des marques de fabrique de la franchise : chacun veut avoir tout son soûl de paysages novateurs ; que cela se fasse au détriment de la cohérence du récit n’a aucune importance. De toute façon, plus la saga James Bond se développe et métastase, la complication des intrigues atteint des sommets. Il n’est que de comparer sur Wikipédia les résumés des premiers films (Bons baisers de RussieGoldfinger), issus directement des romans de Ian Fleming et ceux des vingt dernières années (GoldeneyeDemain ne meurt jamais, les autres) : les seconds occupent quatre fois plus de place que les premiers..

Complication n’est pas raison ; en tout cas, à partir du moment où les scénaristes placent tous leurs efforts à élaborer des histoires aussi tordues qu’incompréhensibles. Le spectateur n’assiste qu’à une suite de séquences spectaculaires, supportables et même acceptables lorsque l’on les regarde coincé dans le fauteuil de son multiplexe de banlieue, au côté de son énorme pot de maïs éclaté (le fameux pop-corn, qui fait un duo magnifique avec le sucré Coca-Cola). Mais elles deviennent affreusement lassantes, sous le regard plus rassis et fatigué de celui qui les découvre à la télévision. Il n’y a rien, rien du tout, dans ce récit de la bagarre habituelle de James bond contre tout ce qui peut gêner le Gouvernement de Sa Majesté britannique. Le malheur est qu’il n’y a presque plus de Majesté britannique (un peu davantage tout de même que de Nation française) et qu’on se demande bien pourquoi 007 combat.

Il est terrible, d’une certaine façon, de se remémorer la longue suite des aventures de l’espion magnifique et de constater qu’au fil des époques, il baisse, lui aussi, casaque. Pauvre monde occidental qui ne survit que par sa lumière fuyante…

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