300

300

Du cinéma, ça ???

Ma femme qui  dirige une DVDthèque – avait apporté ce film à la maison et, par pure curiosité – je n’en avais guère entendu parler – j’ai glissé ça dans le lecteur. Par souci d’objectivité, je dois d’abord proclamer que je n’en ai regardé qu’à peu près une demie heure, quarante minutes au plus, mais en utilisant frénétiquement la zappette, c’est-à-dire en sautant d’un chapitre à l’autre.

Dites, les amis… vous pensez que c’est encore du cinéma ? Je ne parlerai ici ni de l’idéologie qui, selon certains, sous-tend l’action (mais appeler  »idéologie » ce truc, c’est s’adresser à des handicapés du neurone), ni de la conformité (dont on se fiche) à la vraie Histoire.

C’est l’idée même de réaliser un film à l’ordinateur qui m’interloque ; je ne suis pas, par principe, ennemi des effets spéciaux, et j’ai dit sur le fil du Seigneur des anneaux combien il eût été impossible sans eux de réaliser l’admirable adaptation du chef d’œuvre de Tolkien : mais cette adaptation-là était au service d’une histoire et les trucages numériques laissaient la place à du vrai cinéma dès qu’il n’étaient plus utiles, un cinéma de cinéaste.

Là… Je ne dis pas que c’est mal fait, mais je m’interroge. Je passe sur la couleur caca de l’image, la boursoufflure des dialogues, le caractère risible de certaines situations (au début, le jeune Spartiate quasi nu, dans la neige…) : c’est le principe, qui me fait froid dans le dos : déjà, avec Matrix, j’avais senti percer le vent d’un drôle de boulet : celui où seuls les yeux seraient remplis de tumultes, de mouvements et d’images spectaculaires ; là, ça va bien plus loin…

Enfin, je suis encore sous le coup de l’effroi ; le cinéma a tué le théâtre, le jeu vidéo va tuer le cinéma  ; enfin, ça durera bien autant que moi… Et quand je vois La vie des autres, Black Book ou La raison du plus faible, je me dis qu’il y a encore quelques beaux jours, une belle fin d’automne…

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J’avoue tout ignorer de la bande dessinée, m’étant arrêté à Tintin, et ignorant complètement ce qu’on a appelé le 8ème Art (ou le 9ème -on s’y perd) ; non par mépris, ou contestation de sa valeur intrinsèque, mais par indifférence (comme pour la Danse, par exemple) ; et je n’ai pas vu Sin City.

Il n’y a pas d’agressivité dans mon message – je suis le premier à admettre que les évolutions, quoi que nous en pensions, sont des réalités objectives, mais aussi des déferlantes, et que leur caractère inéluctable est une donnée. Pas d’agressivité, mais la certitude qu’il est excellent que nous ne fassions sur Terre qu’un assez bref passage, tant cette transformation de tout ce qui a forgé notre manière de voir et nos goûts les plus profonds est, pour beaucoup – pour moi, en tout cas – impossible à supporter.

300 est sûrement une œuvre intéressante – vous êtes nombreux à le dire – mais ce n’est plus à mes yeux du cinéma. Cinéma des acteurs, cinéma des dialogues, cinéma du regard d’un réalisateur… qu’est ce qui reste dans cet univers où la technique, la technicité – remarquables – ont pris le pas sur la vision ? Il reste autre chose, mais pas du cinéma…

Dans quelques années, ou décennies, le spectacle sera tout autour de nous, des créatures virtuelles s’animeront dans la pièce où nous les regarderons, nous pourrons nous lever, tourner autour, les toucher presque, peut-être, renifler leurs odeurs…

Là encore, je n’ai pas dit que c’est mal : ce serait aussi absurde que, en 1920, pleurnicher sur la disparition des fiacres et calèches au bénéfice de l’automobile.

Et pour le théâtre, je maintiens entièrement ma position :  il y a de plus en plus de créations de pièces et une sorte d’engouement pour Avignon ; mais ce n’est rien à côté de la place qu’occupait le théâtre au moment où n’existaient ni cinéma, ni télévision, où le Boulevard du Crime était plein d’Enfants du Paradis, où Balzac rêvait d’avoir un succès théâtral, parce que seul ce succès-là lui aurait apporté notoriété et fortune.

Les troupes, aujourd’hui, s’il ne s’agit pas de pièces de boulevard, repaire des clubs du Troisième âge et des provinciaux en goguette, sont toutes fortement subventionnées, que ce soit par l’État ou les Collectivités locales : survie purement artificielle qui permet d’affirmer que le théâtre ne s’est jamais si bien porté. Et ne me dites pas que le music-hall – celui où Jenny Lamour (Suzy Delair) se produit, dans Quai des Orfèvres, celui où M. Valentin (Jules Berry) montre ses chiens savants dans Le jour se lève, ce music-hall plein de populo rieur aux yeux avides existe encore : il n’est plus qu’à la télévision chez Patrick Sébastien !

Cela dit, je digresse et j’en ai conscience… 300, c’est tout de même le début de la fin…

Les temps changent, les formes d’expression changent. L’épopée contée par un aède, le Mystère – tel qu’il était représenté au Moyen-Âge – la poésie en  »chants » et en alexandrins, le Conte (à la Maupassant)… tout cela n’existe plus. Et le roman ne se porte pas très bien, selon de nombreux observateurs.

La disparition d’une forme artistique n’est ni un Bien, ni un Mal, intrinsèquement. Elle scelle seulement l’évolution des sociétés, et la vieillesse des hommes…

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