Razzia sur la chnouf

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Honnête film de genre.

La chnouf, naturellement, c’est moins bien que le grisbi, et Henri Decoin n’est pas Jacques Becker. En d’autres termes, à vouloir profiter de l’immense succès du grisbi pour installer Jean Gabin dans ses habits de grande vedette ressuscitée, on risquait de se casser la figure. Le monde des macs, des marlous et des putes, le monde de la nuit, le monde trouble du milieu, des tueurs et des demis-sel présente pourtant une si riche palette !

Mais on n’est pas déçu, pour autant, même si l’anecdote est convenue et archi-prévisible. Razzia sur la chnouf – admirable titre, au demeurant, qui parait introduire le spectateur timoré de 1955 dans un monde à part, où l’argot est aussi fascinant que les revolvers à tout moment exhibés et utilisés – Razzia sur la chnouf, donc, est une sorte de radiographie, d’ethnographie du Paris secret de la drogue du milieu des Années Cinquante, où l’on a enfin quitté les restrictions et les parcimonies des lendemains de la Libération, où la prospérité commence à s’installer.

disque-razzia-sur-la-chnouf581Les malfrats sont certes à leur aise dans le paysage de Pigalle, mais la drogue est une pratique qui touche tous les quartiers et tous les milieux. Le meilleur du film est bien là, d’ailleurs, dans le regard presque clinique posé sur les petits groupes d’intoxiqués : anciens coloniaux nostalgiques de l’Indochine qui, comme à Hanoï ou à Hué, s’étendent sur une natte pour fumer l’opium ensorcelant, Africains entassés dans un bouge de Montparnasse qui entrent en transes avec de la marijuana, filles paumées à l’apparence sage qui ont succombé à l’attrait de l’héroïne, quidams banals qui se sont laissés aller… Ce marché-là est organisé avec des tas de gagne-petit, de fonctionnaires de la came, eux-mêmes souvent camés, comme Léa (Lila Kedrova) ou marginalisés, comme le petit couple homosexuel…

Un film de production courante, sans doute, mais avec des tas d’idées formidables, comme le duo étonnant des tueurs, quasiment frères siamois, unis dans la cruauté et la violence, Roger le Catalan (Lino Ventura) et Bibi (Albert Rémy, qu’on a, d’ailleurs rarement vu aussi bon que dans ce rôle de franche crapule), comme la boîte lesbienne, comme la distribution, avec un Gabin naturellement souverain, une Magali Noël très séduisante, un Dalio comme toujours excellent, un Paul Frankeur efficace…

Il manque plein de choses, bien sûr et, à l’inverse de Bob le flambeur ou du grandiose Grisbi, Paris n’est pas filmé, ou l’est à peine… Mais si toutes les productions courantes pouvaient être de ce niveau…

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