3h10 pour Yuma

Contes de la lune vague avant la pluie.

Pour un western et malgré les limites du genre, sommaire et brutal, ce n’est pas mal du tout, sans doute d’abord parce qu’on y retrouve ce qu’on peut y apprécier : l’espace. Et de ce point de vue, on en a son content : Delmer Daves a la capacité de montrer au spectateur de grands panoramas, d’élargir sa vision, de le faire pénétrer dans d’immenses paysages exotiques souvent très beaux, de l’emmener dans un ailleurs exotique, qui était, aux yeux des Européens civilisés qui découvraient et absorbaient, au mitan des années 50, toute une kyrielle de récits presque primitifs et en tout cas sauvages, une occasion de s’évader de leur quotidien.

La principale qualité de 3h10 pour Yuma est en effet la beauté presque hiératique de ses images, admirablement composées et photographiées. Une beauté qu’on regrette dès que le film part se réfugier de façon infiniment plus classique, dans les habituelles ruelles de ces villages poussés on ne sait trop comment autour d’un saloon où le whisky se débite en quantités industrielles. Et à ce moment là on retombe dans la banalité répétitive d’histoires sommaires où, comme dans l’ennuyeux Rio Bravo et dans nombre d’autres films Le train sifflera trois fois et cent autres, de braves courageux citoyens essayent de promouvoir la Loi et l’Ordre.

Au fait il y a lieu de s’interroger sur la prévalence singulière des chemins de fer dans l’imaginaire fantasmé du Far-West ; outre les films que j’ai cités, il y en a bien d’autres qui se bâtissent autour d’une gare : du Dernier train de Gun Hill à Il était une fois dans l’Ouest, en passant par Un homme est passé, on croirait presque que l’histoire des États-Unis n’existe qu’entre deux voies ferrées Et après tout, ce n’est peut-être pas inexact. Le pays est vaste et encore primitif lorsque le film commence.

Ça se passe dans le sud de l’Arizona, à la frontière proche du Mexique ; dans d’immenses étendues presque désertiques et, en tout cas, asséchées, il n’est pas bien compliqué pour la bande de voyous dirigée par Ben Wade (Glenn Ford) d’attaquer des diligences qui transportent des sacs d’or. Et en fait, ça ne dérangerait personne, pas davantage que les expéditions menées au cours des siècles par Robin des BoisCartouche ou Mandrin sur l’argent des opulents si, à la suite d’une malencontreuse péripétie, il n’y avait des morts au bout du hold-up.

Et si n’était pas témoin de l’algarade le brave Dan Evans (Van Heflin), parcimonieux éleveur qui attend avec impatience que la pluie puisse faire reverdir ses terres desséchées. Les catastrophes volant en escadrille, comme chacun le sait et en tout cas peut le constater, voilà que Dan Evans, par une sorte de fatalité, se charge de convoyer vers le pénitencier de Yuma le bandit, moyennant finances, mais surtout pour reconquérir une fierté qui paraît lui être déniée par sa femme Alice (Leora Dana) et ses enfants.

Dès lors se mêlent au récit traditionnel, d’une très grande banalité, des considérations qui ne sont pas tout à fait négligeables sur les rapports des deux hommes qui ne sont, chacun de leur côté, pas très satisfaits de leur existence, Dave Evans, le fermier qui s’épuise et épuise femme et enfants à faire survivre une exploitation qui n’a pas d’avenir économique et Ben Wade, qui a passé toute sa vie à rêver aux yeux des femmes et n’a pas su en capter une (mais qui aurait pu tant de fois…). Entre les deux hommes il y a une sorte de complicité qui se noue, qui fait qu’on ne sera pas tellement surpris, finalement, lorsqu’ils se retrouveront complices, même si Delmer Daves, le réalisateur, en fera peut-être un peu trop dans le genre noble. Mais enfin, pour une fois que les personnages d’un western ont un peu de substance psychologique, on ne va pas se plaindre…

Histoire minimale, donc, au regard de nos critères européens, mais magnifique exaltation de la nature sauvage ; profondeur de champ et utilisation maximale de l’espace et de la nature sauvage. C’est presque aussi bien que Le dernier train de Gun Hill.

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