Le bon, la brute et le truand

Picaresque, fou…

Est-ce qu’il n’est pas un peu dommage de découvrir, comme je l’ai fait, la Trilogie du dollar après l’admirable Il était une fois dans l’Ouest, aboutissement et ultime étape d’un genre essentiel au cinéma ? Sans doute aurais-je préféré faire connaissance des innovations formidables que Sergio Leone a apportées en commençant par le début. Je n’ai jamais vu Pour une poignée de dollars ; j’ai apprécié sans enthousiasme Et pour quelques dollars de plus ; me restait à revoir Le bon, la brute et le truand, qui m’a semblé nettement supérieur au film qui l’a précédé, sans pour autant atteindre les sommets.

Il est vrai que si, à l’été 69, lorsque j’ai vu Il était une fois dans l’Ouest j’avais été familier du cinéma de Leone j’aurais peut-être été moins stupéfait et admiratif ; parce que j’aurais été habitué à ces angles de prise de vue étranges et séduisants, et plus encore aux barbes douteuses, aux vêtements luisants de crasse, aux longs cache-poussière, à la sueur, aux gros plans sur des visages marmoréens impitoyables, à la cruauté des fauves enragés, aux longs silences des protagonistes et, bien sûr, à l’efficacité de la musique d’Ennio Morricone.

buono, bruttoCela dit, si Le bon, la brute et le truand n’a pas l’ampleur lyrique de Il était une fois dans l’Ouest, il est également dépourvu de certains travers un peu mélodramatiques, au bénéfice d’excellents gags qui mettent souvent un éclat de rire dans un paysage bien noir. On peut peut-être y voir la patte d’Age et Scarpelli et de leur sens habituel de la dérision : la petite industrie du condamné à mort Tuco (Eli Wallach) systématiquement livré aux autorités puis délivré d’icelles par son complice Blondin (Clint Eastwood) ; l’uniforme des Nordistes si couvert de poussière grise qu’il les fait prendre pour des Sudistes ; la façon dont Tuco se libère de ses chaînes en les faisant couper par un train ; sa façon de descendre un de ses (nombreux) ennemis qui croit l’avoir capturé alors qu’il est plongé dans une baignoire…

Mais j’ai trouvé que c’était un peu long, bien qu’une version ultime ait ajouté un quart d’heure à un film qui dure tout de même déjà près de trois heures ; j’aurais coupé, pour ma part, la partie où Tuco retrouve son frère (Luigi Pistilli), supérieur du couvent des Franciscains, qui n’est pas d’un intérêt majeur et j’aurais raccourci drastiquement les conversations sur la nocivité intrinsèque de la guerre, qui me semblent de la philosophie à deux balles ; je sais : ça tend à démontrer que les trois bandits, si cruels et sanguinaires qu’ils sont, ne sont finalement que de petits joueurs face à l’horreur des conflits armés ; voilà qui est d’une niaiserie sans nom.

graveMais il y a de bien belles idées ; notamment l’idée de faire interagir trois canailles qui n’ont d’autre possibilité que de se supporter jusqu’à l’affrontement final ; affrontement magnifique d’ailleurs, bien que Leone n’ait pas mégoté sur la quantité des tombes (il paraît qu’il y en avait 10.000 !), dont le nombre paraît peu vraisemblable et qui font ressembler le pauvre cimetière d’une bourgade perdue de l’Ouest à une de ces nécropoles de notre vieille Europe. Affrontement qui fait songer à l’arène des corridas andalouses (et, de fait, la musique de Morricone prend là des accents espagnols) mais aussi à la tragédie grecque.

C’est en tout cas très bien, avec des acteurs, des trognes extraordinaires. Et ça restera durablement inscrit dans l’histoire du cinéma.

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