Louise Wimmer

Les pauvres gens.

Couvert de prix de la meilleure première œuvre (prix Louis Delluc, César, et plusieurs autres distinctions), Louise Wimmer m’avait accroché lors d’un premier passage sur Canal +, alors que je l’avais regardé en le prenant en marche et donc par bribes ; c’est quelquefois un peu ainsi qu’on se rend compte de la qualité d’un film (pas toujours, mais souvent) et je me souviens encore de dix minutes de regard sur Twin peaks pêchées au hasard de la diffusion de la série sur Canal +, jadis : la certitude qu’on est devant quelque chose d’intéressant, voire d’important.

À quoi peut bien tenir ce sentiment ? Je n’en sais rien… La lumière, la façon dont l’image apparaît sur l’écran, un bout de dialogue, l’allure d’un comédien, la sensation que l’histoire racontée n’est pas un produit formaté par des ateliers d’écriture ? Un peu de tout cela, rien de tout cela et beaucoup d’autres choses ; c’est comme dans un roman, de quelque histoire qu’il s’agisse, on entre de plain-pied. C’est le talent, tout simplement ; ça peut se perfectionner, s’améliorer, mais ça ne s’apprend pas, c’est inné.

Louise Wimmer pose un regard presque entomologique sur ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler un travailleur pauvre ; c’est-à-dire quelqu’un qui a un petit boulot, à temps très partiel, un tout petit salaire, qui vit une grande précarité, qui ne peut pas faire le moindre projet ni pour l’avenir, pour les années futures, ni même pour la semaine qui suit. Rien à voir avec les racailles des cités, leurs trafics en tout genre, leurs mirobolants profits et leurs destinées sanglantes. C’est plutôt le monde décrit par Gaspar Noé dans Seul contre tous : des gens courageux, travailleurs, qui ne demandent qu’à s’en sortir mais qui sont ravalés par la mondialisation et l’infernale arrogance de la finance à survivre moins bien que les chiens.

Sales boulots et boulots sales de nettoyage des chambres, de tri du linge, de débarras, de plonge de la vaisselle grasse ; tout cela au milieu de lumières pauvres, de néons qui aveuglent et de réverbères au petit matin. Fatigue, harassement, vêtements fripés, visage terne, corps démoli ; besoin constant de se laver, de s’essuyer, d’effacer les marques de tout ce qu’on a touché dans la journée.

On ne sait pas trop ce qu’a été Louise (Corinne Masiero, exceptionnelle) avant que la caméra s’attache à elle, à ses pérégrinations dans sa Volvo pourrie, sur les parkings des centres commerciaux, dans la périphérie des villes. Et c’est une des forces du film de Cyril Mennegun : on voit bien qu’elle a eu une vie plus heureuse, qu’il y a, dans sa boîte à trésors, des photos d‘avant ; pourquoi, comment a-t-elle quitté son mari, sa fille qui croisent à un moment du film sa déchéance ? et il n’est pas dit qu’elle n’ait pas sa part de responsabilité dans la catastrophe ; on ne sait pas ; peut-être oui, peut-être non. Mennegun met sa caméra sur le chemin ; il a de la sympathie pour Louise mais il sait bien que la vie des gens n’est pas si nette que ça.

C’est parce qu’il se garde de tout pathétique que le film est si réussi. C’est assez facile, depuis toujours, d’émouvoir avec la pauvreté et d’entrer dans le mélodrame gluant ; bien plus compliqué de jeter un regard froid, clinique, détaché, mais justement d’autant plus fort. Il y a, à la fin, un sourire et une goutte d’espoir. Mais on n’est pas dupe. La vie des pauvres ne s’arrange pas comme ça.

2 Responses to “Louise Wimmer”

  1. Eric Palombi dit :

    cher Impétueux, tu serais donc lyonnais , toi aussi ? Amor08

  2. impetueux dit :

    Ah non, j’apprécie Lyon, mais n’en suis pas…

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