Marty

Sensible et tendre

Quel film frais, attachant, émouvant aussi, souvent et quel beau rôle pour Ernest Borgnine, qui fut justement couronné d’un Oscar, alors que, dans sa longue et abondante carrière, il n’a jamais occupé le premier rang… Belle interprétation, aussi, de Betsy Blair, qui se noya ensuite dans des productions moins réussies…

Dans l’Amérique heureuse de 1955, sûre d’elle-même, confiante, optimiste, animée d’un formidable dynamisme, qui a gagné la Guerre et, malgré la Corée, n’a pas commencé à s’enliser sur toutes les terres d’Asie, il y a ce coin italien du Bronx, populaire et paisible où de braves gens sans histoire vivent des jours simples, encore marqués par l’empreinte de la Sicile ou de la Campanie : soutien familial, pratique religieuse et obligation faite à tous de fonder une famille…

Marty, (Ernest Borgnine, donc) excellent boucher trentenaire qui va bientôt pouvoir reprendre la boutique de son patron passe ses samedis soirs avec son ami Angie (Joe Mantell) à essayer de trouver une jeune fille avec qui il pourra se marier ; mais que ce soit au cinéma, lors les mariages des autres, au dancing, il essuie des rebuffades parce que, ainsi qu’il le dit, lors d’une scène très triste à sa mère qui le presse de sortir encore ce samedi-là, Il y a un truc que les femmes aiment, et moi je n’ai pas ce truc !.

On a rarement aussi bien dépeint la solitude des moches, leur souffrance résignée, l’ennui de leurs week-ends grisaillants, l’humiliation devant les prétextes donnés pour leur refuser une sortie ou une danse, l’envie triste qu’ils ressentent devant leurs amis plus chanceux… C’est assez bouleversant, parce que ça a un caractère de fatalité consentie et désespérante. Mais Marty, au contraire de la tragédie d’Extension du domaine de la lutte n’est pas un film accablé, mais un film plein d’espoir.

En rencontrant Clara (Betsy Blair, qui a le seul défaut cinématographique de n’être pas si laide que le film devrait la montrer, et qui est au contraire pleine de charme), Marty n’est ni ensorcelé, ni ébloui : mais il est séduit par une presque trentenaire qui a souffert les mêmes désillusions, les mêmes humiliations que lui, et qui lui donne le bonheur d’une soirée enchantée où les mots, les regards, les sourires sont autant de mutuels cadeaux que les deux blessés de la vie se font l’un à l’autre.

C’est là qu’ironiquement l’habituelle déveine, la malfaisance intrinsèque des choses est à deux doigts de faire basculer la belle histoire : ni la mère, ni les copains de Marty ne trouvent la jeune femme à leur goût : pas assez jolie ou non italienne, ou tout et n’importe quoi ; Il y a dans le malheur de nos amis quelque chose qui ne nous déplaît point, écrit subtilement La Rochefoucauld

Mais nous sommes aux États-Unis en 1955 : il n’est pas concevable que cette jolie aventure se termine mal et Marty va téléphoner à Clara pour la revoir… C’est la dernière image et l’ouverture à ce qui va être.

Ainsi narré, le film peut sembler nunuche et mélodramatique ; rien de tout cela ; c’est un film d’une grande dignité, d’une belle hauteur de ton, un film qu’on aime avoir vu. Le pire n’est jamais sûr et, de temps en temps, les choses s’arrangent.

Tout arrive, Monsieur : on a vu des gens heureux !, dit Jules Renard.

Leave a Reply