Un homme marche dans la ville

Mélodrame naturaliste.

Une œuvre vilipendée conjointement par le Parti Communiste, la C.G.T. et la Centrale Catholique du Cinéma peut-elle être absolument médiocre ? Sûrement pas ! Et Un homme marche dans la ville est, de fait, un sacré bon film, prenant, triste et désespérant, construit sur l’histoire simple d’un couple mal assorti, d’une frustration féminine à la limite de l’hystérie et d’une méprise policière… Tout cela est un peu mélodramatique, mais le côté conventionnel de l’anecdote est effacé par la qualité de la réalisation et du parti original de filmer Le Havre de 1950….

Il y a peu de villes, hors Saint-Nazaire, Royan ou Toulon, qui ait autant souffert des bombardements qui ont accompagné la Libération ; toujours est-il que la cité, fondée par François Ier, qui connut au 19ème siècle, une éclatante prospérité, a été détruite à peu près complètement par des bombardements en septembre 1944…

C’est donc sur un fond de ruines à peine déblayées, et avant que la reconstruction, conduite par Auguste Perret ne dresse ses étranges architectures des années 60 (aujourd’hui classées au Patrimoine mondial de l’Humanité), que se développe cette histoire de dockers durs au mal, jaloux de leurs boulots et de leur corporatisme (la scène d’ouverture, les annonces au micro lors de l’embauche sont fort curieuses).

Un de ces dockers de la base, grognon, râleur, aigri, qui paraît incapable d’amour, Laurent, (Robert Dalban, épatant) est marié, on ne sait trop pourquoi ni comment à Madeleine, une de ces femmes qui, sans même le vouloir, attisent le désir du mâle (Ginette Leclerc, dont je ne suis pas très amateur, mais que je n’ai jamais vue, en tout cas aussi mal attifée, ni coiffée : un vrai repoussoir !). L’ami de la famille, Jean, (Jean-Pierre Kérien, qui n’a pas plus de talent là qu’il n’en a jamais eu) attise chez Madeleine une sorte d’absurde passion, à quoi il ne répond que charnellement… Laurent est tué, lors d’une querelle d’après-boire ; Jean est accusé…

Et tout cela se déroule sur le fond des paysages d’un grand port renaissant à peine de ses cendres, avec des quais sans fin, des rails de chemin de fer, des ponts tournants, des hangars grands comme des cathédrales, des bruits obstinés du travail manuel…

Il y a des moments très très bien, presque documentaires, dans ce décor épouvantable de ville rasée, de déblais, dans cette post-Apocalypse où la distraction principale est l’ivrognerie et où tout prend figure de fatalité laborieuse (la présence de Fréhel, dans un rôle de figuration est typique, Fréhel, icône et symbole des jours enfuis et des vies gâchées). Quelques très beaux plans, contrastés et violents, qui font songer à l’expressionnisme, des trognes réussies (Yves Deniaud, en bistrotier las de la vie, notamment), de très bons moments désolés…

Comment se fait-il que le réalisateur, Marcello Pagliero, excellent acteur (Rome, ville ouverte, Dédée d’Anvers), qui tourna ensuite un excellent et angoissant Chéri-Bibi ait pu, après Un homme marche dans la ville, ambitieux et prenant, une telle nullité que La rose rouge, qui est un des plus accablants films de l’histoire du cinéma ?

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