Antoine et Colette

Des adolescents d’autrefois.

Je n’ai pas vu ce film à sketches intitulé L’amour à vingt ans, qui n’a pas porté bonheur aux réalisateurs des autres histoires puisque, aux côtés de François Truffaut il y avait des fils deRenzo Rossellini et Marcel Ophuls, dont le talent n’égale tout de même pas celui de leur papa, un certain Shintarô Ishihara dont la filmographie paraît étique, et Andrzej Wajda à qui Danton a dû couper (hi hi !) l’inspiration.

Antoine et Colette est un petit bijou tout à fait dans la continuité narrative des Quatre cents coups, un court-métrage de 29 minutes sensible, drôle, intelligent, cruel comme le sont les amours d’adolescence, insignifiantes et désespérantes. C’est sans doute avec son retour dans la vie d’un Antoine Doinel, qui atteint désormais 17 ans (contradiction mineure avec le titre du film), vie fictive, mais nourrie de ses propres expériences et souvenirs que Truffaut a songé qu’il pourrait poursuivre l’expérience et suivre son héros dans des étapes ultérieures de son parcours. Et même si, dans mon souvenir, le dernier volet, L’amour en fuite qui intervient vingt ans après Les quatre cents coups est d’assez loin le plus faible, cette constance sur la longue période est bien intéressante.

Antoine (Jean-Pierre Léaud) et Colette (Marie-France Pisier) se rencontrent lors d’un concert des Jeunesses musicales de France, salle Pleyel. Moi qui ne suis pas mélomane, j’avais complètement oublié l’existence de cette association qui fut si fréquentée, si importante dans l’éveil à la musique classique de centaines de milliers de jeunes gens et jeunes filles, de milieux très variés, et qui a dû sinon disparaître, du moins se transformer dans les folles années post-68. Plate-forme de véritable éducation populaire, tournée vers la difficulté et l’élite, elle ne pouvait évidemment pas complaire aux nouveaux maîtres de l‘intelligentsia.

 Peu importent, au demeurant, toutes ces vieilleries : demeure le regard criant de justesse sur l’émoi, l’éblouissement d’un adolescent sur une jeune fille d’allure sage, mais d’esprit indépendant, pour qui il s’embrase, mais qui ne ressent rien pour lui qu’une sympathie légère, peut-être due à la parenté des goûts artistiques, mais en rien sentimentale, qui ne porte même pas en elle le vague germe d’ambiguïté sensuelle qui pourrait permettre les délicieux et effrayants malentendus de cet âge tendre.

Le comportement de Colette est-il inconscient ou, tout de même un peu frappé de fierté cruelle ? On peut se poser la question ; l’accablement d’Antoine, après la gamelle qu’il a ramassée au cinéma, n’empêche pas Colette de venir l’inviter à dîner et de ressentir indifférence (ou trouble jouissance ?) lorsque Albert (Jean-François Adam), le garçon qui l’intéresse vraiment vient la chercher. Ce qui plonge Antoine dans la résignation et les parents de Colette dans l’apitoiement. Et à la fin de cette scène le regard jeté par Albert sur Antoine accablé, du type J’ai gagné bien facilement la bataille, est formidable de véracité. Je songe que Colette ne cherche pas vraiment, mais accepte l’éventualité d‘une de ces séparations définitives qui nous sont si parfaitement égales quand il s’agit d’êtres dont nous ne sommes pas épris (Marcel Proust).

Bref, c’est très bien. Marie-France Pisier, qui ne fit pas une grande carrière mais qui séduisait chaque fois qu’elle apparaissait sur l’écran, est une Colette parfaite, portant en elle cet élément de mystère et de trouble qu’il fallait. Jean-Pierre Léaud est encore en 1962 un acteur naturel, bien que certains tics apparaissent et seront malencontreusement accentués par la regrettable fréquentation des films de Godard.

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