Autopsie d’un meurtre

« En général je ne me plains pas des croupes séduisantes »

C’est vraiment une belle performance de donner une telle tension à un film de plus de deux heures et demie dont les deux tiers se passent presque complétement dans le cadre restreint d’un prétoire. D’autant que, si l’affaire plaidée apparaît a priori presque banale, sa complexité va en s’accroissant au moment où, précisément, les détails se révèlent. Ce paradoxe, en fait, n’est qu’apparent : on sait bien que la simplicité est la chose la moins certaine du monde. En tout cas, dans les riches et tortueux chemins des films de procès, il me semble qu’Autopsie d’un meurtre est vraiment ce qui se fait de mieux, servi par des acteurs impeccables, des dialogues étincelants et une musique (de Duke Ellington), vive, nerveuse, qui s’adapte avec élégance et intelligence aux péripéties présentées. On peut même ajouter le générique très heureusement daté et jazzy.

Petite ville assez médiocre du Michigan, cet État du Middle-West qui confine au Canada et qui est entouré des Grands lacs. Des rues qui se vident très rapidement le soir avec de rares points d’animation qui demeurent ; l’hôtel-restaurant de Barney Quill notamment. La ville abrite aussi une petite garnison. Et il y a naturellement le singulier système judiciaire des États-Unis où les magistrats sont élus. Et peuvent donc perdre leur charge, comme l’a perdue quelque temps auparavant Paul Biegler (James Stewart) qui, désormais avocat sans causes, végète avec la seule assistance d’une excellente secrétaire, Maida Rutledge (Eve Arden) et l’amitié d’un vieil avocat complétement imbibé, Parnell McCarthy (Arthur O’Connell) avec qui, au retour de ses parties de pêche, il partage son whisky.

Un soir, appel téléphonique de Laura Manion (Lee Remick), dont le mari, Frederick (Ben Gazzara), lieutenant de retour de Corée et très apprécié de ses soldats, vient de tuer l’hôtelier Barney Quill. Cela pour venger Laura qui a été violée par Quill. Voilà qui paraît bien simple. Et qui serait une cause assez facile à plaider si le lieutenant Manion avait agi sur l’heure, dans un coup de sang bien compréhensible, en légitime défense de son honneur en quelque sorte. Le malheur est qu’il a attendu un peu trop longtemps pour aller descendre le violeur.

Le malheur aussi que Laura est une très jolie femme, très charmeuse et qui s’ennuie beaucoup. Une allumeuse, une aguicheuse seulement comme on peut le penser, ou une séductrice qui pourrait être une drôle de nymphomane ? Va savoir ! Ce qu’on comprendra, au fur et à mesure du déroulement du film, c’est que le lieutenant est extrêmement fier d’être le mari d’une femme si désirable, qu’il l’incite même à porter des tenues qui troublent les yeux des hommes, mais qu’il est aussi absolument jaloux, d’une jalousie violente.

Vous mettez cela dans la centrifugeuse et vous appuyez sur le bouton. Et le bouton, c’est à la fois le système judiciaire accusatoire étasunien (mais que ses multiples représentations filmées ont rendu à peu près familier au spectateur) et surtout le combat de coqs de la défense et de l’accusation, c’est-à-dire de Paul Biegler/James Stewart qui trouve en face de lui son successeur au poste d’attorney, Mitch Lodwick (Brooks West) et son supérieur hiérarchique Claude Dancer (George Scott, excellent). Duel à fleurets non mouchetés, où les parties n’hésitent devant rien pour se déstabiliser et, sous l’œil paterne du Juge Weaver (Joseph N. Welch), convaincre le jury souverain.

La grande qualité du film est que, plus on avance dans l’interrogatoire des témoins et les prises de parole de l’attorney Dancer et de l’avocat Biegler, plus on se rend à l’évidence que le lieutenant Manion a tué Quill par pure jalousie, parce que sa femme fricotait avec lui. Mais ça n’empêche pas son avocat, qui en est naturellement conscient, de le défendre avec une vigueur décuplée. Ce qui compte n’est pas d’élucider l’affaire, mais l’emporter sur l’adversaire. On peut d’ailleurs tout à fait se rappeler le duel qui oppose Paul Meurisse, avocat de la Partie civile et Charles Vanel, avocat de la Défense, dans La vérité de Clouzot. Après la rude bataille, les confrères se congratulent : Good game !

Et finalement, ce qui demeure de plus grave et de plus désespérant, c’est cette pauvre belle fille de Laura, à qui aucun homme n’a jamais résisté et qui se demandera toujours pourquoi elle fait surgir tant de drames.

 

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