Dancer in the dark

Danse macabre.

Plus je découvre le cinéma de Lars von Trier que, méfiant envers tout ce qui est scandinave j’avais longuement négligé, plus je suis surpris, dérangé, interloqué. Séduit, charmé, émerveillé ? Ah, non, ce ne sont pas les mots qui conviennent ; mais attiré, intéressé, fasciné, sûrement oui. Un cinéma qu’on pourrait presque qualifier de barbare si l’on était sûr que cet adjectif-là est compris dans son acception classique et première : un cinéma étranger à notre âme classique, au goût de la mesure hérité de la Grèce, à la révérence pour l’ordre harmonique qui nous vient de Rome. Avec Lars von Trier nous éclate au visage une violence brutale, qui peut être sommaire, gênante et quelquefois même ridicule, un peu. Mais qui ne peut pas laisser indifférent.

Dancer in the dark est sûrement encore trop brutal, trop plein d’aspérités, d’angles aigus, de maladresses plus ou moins volontaires. En tout cas par rapport à des merveilles comme Dogville ou Melancholia. C’est un mélange qui se veut trop spontanément choquant entre un mélodrame cruel (qui va volontairement jusqu’à l’excès, jusqu’à l’outrance) et une fantaisie qui aspire à l’onirisme et à la tendresse. Sur le premier aspect, un naturalisme très appuyé, le film a les défauts du genre ; c’est-à-dire la volonté – qui peut facilement tourner à la démonstration – d’énumérer les malheurs qui surviennent à un personnage pitoyable et de les accumuler jusqu’à l’aboutissement ultime (c’est un peu comme dans Germinal : à un moment on se demande ce qui peut arriver de pire à la famille Maheu que ce qui la frappe). Sur le second aspect, si on saisit bien que les cinq ou six épisodes chantés et dansés permettent à Selma Jezkova (Björk) de s’évader d’une réalité de plus en plus épouvantable, on peut les trouver presque tous trop longs et dotés d’une musique bien médiocre et immédiatement oubliable (musique écrite par Björk au demeurant, paraît-il).

Donc la malheureuse Selma, immigrée tchécoslovaque dans une petite ville minable d’un coin perdu des États-Unis, a trouvé un emploi d’ouvrière aux pièces dans une usine d’emboutissage, ce qui lui permet de vivre et de faire vivre son jeune garçon Gene (Vladica Kostic) dans une minable caravane vermoulue abritée dans le jardin de Bill Houston (David Morse), policier municipal et de sa femme Norma (Cara Seymour). Ce qui lui permet aussi d’économiser dollar après dollar pour faire opérer, dès qu’il aura 13 ans, son gamin d’une dégénérescence héréditaire de la vue. Pour Selma, c’est déjà trop tard : inexorablement elle avance vers la cécité.

Selma, malgré – ou grâce à – son handicap, est très entourée et appréciée dans l’usine et dans la bourgade. Bill et Norma, dont elle est sous-locataire, mais aussi Norman (Jean-Marc Barr), le contremaître et Kathy (Catherine Deneuve), sa meilleure amie, qui travaille avec elle à l’usine et qui répare – de plus en plus souvent – les erreurs de Selma – qui voit de moins en moins -. Et elle a même un type solide qui aimerait bien engager avec elle une histoire, Jeff (Peter Stormare). Mais Selma n’a pas le temps ; et pas d’autre loisir que de jouer dans une troupe d’amateurs le rôle de Maria dans La mélodie du bonheur,de chanter et de danser.

C’est à partir de ces prémisses que tout va se déglinguer. Vite et fort. Fort et tragique. Tragique et désespérant. Comme dans tout mélodrame, il y a une sorte de processus cumulatif qui fait que, quoi qu’on fasse, tout va vers le pire. Le courage et la dignité de Selma ne compteront guère devant l’accumulation des catastrophes qui vont s’additionner. Jusqu’au bout. Le spectateur comprend d’ailleurs très vite qu’il n’y a naturellement aucune issue et que la mort est au bout du chemin. On ne va pas raconter comment.

Je n’avais jamais entendu parler de Björk avant ce film ; il semble qu’elle ait du succès dans le domaine musical, qui m’est complétement étranger. Mais dans ce rôle singulier d’une femme courageuse, pitoyable, émouvante, elle n’est pas mal du tout. Je suis plus réservé sur l’utilisation de Catherine Deneuve, qui me semble peu pertinente pour interpréter une ouvrière du Middle West. Les autres acteurs ont sur le visage cette grisaille qu’on imagine empêtrer les habitants du coin.

Le film est d’un grand intérêt, malgré la longueur des scènes chantées. On peut n’être pas dupe, mais on se laisse facilement avoir.

 

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