Baisers volés

Le meilleur des Doinel.

Le plus frais, le plus charmant, le plus drôle épisode de la pentalogie d’Antoine Doinel (je compte là-dedans le court métrage Antoine et Colette dans L’amour à vingt ans). Il n’y a pas plus gracieux, plus désinvolte, plus tendre que ce moment où la vie d’Antoine, toute d’incertitude, va basculer dans ce qui sera plus tard Domicile conjugal puis, de façon plus amère, L’amour en fuite. Il n’est sûrement pas indifférent que le film ait été tourné au début de l’année 68, dans un moment où le monde basculait et allait, quelques mois plus tard, exploser.

Il y avait, à ce moment là, une sorte d’optimisme, de confiance dans l’avenir, d’indifférence aux soucis collectifs qui se perçoit bien dans Baisers volés. Ni chômage, ni insécurité, ni incertitude : la seule préoccupation est la quête d’un équilibre personnel, c’est-à-dire, tout bonnement, du Bonheur, à la manière de Stendhal

Il y a plein d’histoires, dans Baisers volés, plein de gags aussi. C’est souvent un peu le travers de Truffaut : coudre ensemble des anecdotes à lui survenues, ou à lui contées ; c’est plutôt bien fait ici, davantage que, par exemple, dans L’argent de poche.

Il est vrai que la plongée dans la vie quotidienne d’une agence de recherches privées est généreuse en péripéties surprenantes, trucs de métiers (la façon de récolter une adresse à partir d’un numéro de téléphone, celle de faire constater un flagrant délit d’adultère grâce à un culot infernal et à un aplomb angélique !), récits bizarres (la nurse qui, au lieu d’emmener les enfants dont elle est en charge au square, s’exhibe sur une scène de strip-tease permanent, le type qui fait enquêter sur lui-même pour connaître les raisons de sa solitude sociale), tranches de vie (l’homosexuel qui pique une crise de furie lorsqu’il apprend que son ami vient de se marier).

Et Truffaut met, comme souvent, en scène sa propre vie : sa révocation de l’Armée, où il s’était engagé par désespoir amoureux, les mille métiers qu’il a accomplis, les incertitudes de son cœur, qui fut vaste et accueillant. Il est bien certain que ça n’a pas dû forcément être tous les jours drôle, mais le regard est constamment tendre et complice. Moqueur aussi, narquois, souvent, du type C’était donc moi, ce garçon à la fois fragile et impérieux, timide et hautain ? … Eh oui, c’était lui…

Je sais que Jean-Pierre Léaud passe pour agaçant ; c’est peu contestable, de façon générale, sinon que, dans Baisers volés, ce jeu un peu tordu s’accorde bien avec le personnage. Claude Jade est une jeune fille délicieuse, sensible, pure, incertaine et équilibrée tout à la fois.

Et Delphine Seyrig est féérique, et apparaissant comme telle, d’emblée, dans le cadre pourtant convenu de la boutique de chaussures possédée par son mari (parfait – déjà ! – Michael Lonsdale). Son allure, son élégance, sa voix, sa façon d’être… Quel dommage qu’elle se soit confinée trop souvent dans des machins abscons de la Nouvelle Vague…

Très beau film léger, ce qui ne l’empêche pas d’être grave…

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