Blanches colombes et vilains messieurs

Capitale de l’ennui.

Quoi, c’est de Joseph Mankiewicz, cette innommable, interminable, ennuyeuse comme la pluie de novembre, indigeste bouillie pour les chats ? Je ne porte pas au sommet des nues Joseph Mankiewicz, sans doute intellectuel trop raffiné pour être un grand cinéaste, mais enfin ! Il y a au moins L’aventure de Mme MuirÈveL’Affaire CicéronLa comtesse aux pieds nus, quelques autres… et personne ne peut lui imputer l’échec tonitruant et grandiose de Cléopâtre… Mais là ! J’ai passé plus de deux heures de mon après-midi à écarquiller les yeux devant cette comédie qui se veut musicale et qui est un ratage absolu, dont on ne retient aucune partie dansée et simplement, parmi la kyrielle des lyrics qui la parsèment, la seule mélodie Woman in love, qui est devenue un standard mais ne casse tout de même pas trois pattes à un canard…

 On ne demande jamais à une comédie musicale un scénario éblouissant (quoique la chose puisse se faire), mais avant tout de présenter une suite de numéros dansés et chantés destinés à l’éblouissement du spectateur. Seulement, précisément, pour enchanter, entraîner dans la féérie, dans le tourbillon, faut-il que ces numéros de haute voltige soient grisants et merveilleux (je veux dire que davantage ils le sont, davantage on est porté à oublier le caractère artificiel de la démarche, du chant et de la danse comme adjuvants – quelquefois remplaçants – du récit). On admet volontiers que Joseph Mankiewicz ait fait un grand effort dans la mise en scène de couleurs, chatoyantes, séduisantes, ravissantes quelquefois aussi, dans les scènes initiale et terminale de son film) ; on veut bien aussi qu’il ait été conduit à adapter un grand succès de Broadway, qui devait bien mieux passer au théâtre qu’au cinéma ; j’apprends d’ailleurs que les quatre interprètes principaux, Marlon BrandoFrank SinatraJean Simmons et Vivian Blaine ne font que reprendre le rôle où ils avaient remporté un triomphe.

C’est égal, on s’ennuie ferme et on n’est pas satisfait parce qu’un cinéaste de qualité va s’attacher à tourner une imbécillité considérable. C’est comme si on avait demandé à Louis Malle ou à François Truffaut de mettre en images… je ne sais pas quoi, moi… Starmania ou une de ces grosses machineries qui remplissent le Palais des sports de foules provinciales extatiques de voir chanter Garou et Patrick Fiori

Alors, il faut que je le dise, j’ai regardé ça dans une édition DVD d’une infinie médiocrité qui m’a offert une image rectangulaire toute riquiqui au milieu de mon téléviseur, qui n’est pourtant pas un paquebot géant, et surtout des chansons non sous-titrées en français ; je sais bien qu’on a rarement à attendre des parties chantées des trésors de poésie ou des astuces de construction qui font sensiblement progresser l’intrigue ; mais enfin dans Blanches colombes et vilains messieurs, il m’a semblé que ces parties étaient nettement plus nombreuses qu’elles ne le sont habituellement et j’ai sans doute été frustré de n’y rien comprendre. Mais enfin, je puis regarder Chantons sous la pluie ou Brigadoon sans comprendre rien aux paroles et néanmoins me régaler…

Outre l’idiotie de l’intrigue (nullement dirimante, cette idiotie, mais idiotie ennuyeuse, ce qui est plus embêtant), le film souffre de l’idée complètement absurde de placer Marlon Brando au premier plan ; voilà un acteur fait pour la comédie musicale comme moi pour aller escalader l’Annapurna : jamais crédible, épouvantablement mal à l’aise dans la quasi totalité des séquences il confirme qu’il n’a jamais été fait pour autre chose que des rôles tragiques. Frank Sinatra fait simplement ce qu’il devait faire pour aller chercher son chèque à la fin du tournage ; Jean Simmons est bien jolie, mais la denrée n’est pas bien rare au cinéma (et qui se souvient d’elle hors d’avoir été la femme de Stewart Granger  ?) ; et Vivian Blaine est une horreur glapissante…

J’ai tenu jusqu’au bout ; il y a des jours où j’ai envie de me féliciter.

 

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