Little big man

Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cible…

Je serais bien surpris que, pour inventer le personnage de Little big man, le réalisateur (ou plutôt, sans doute le romancier Thomas Berger, de qui le film est adapté) n’ait pas songé, davantage encore qu’à Candide, évoqué par beaucoup, à un des personnages majeurs de la littérature européenne : Simplicius Simplicissimus, héros effaré, assez niais mais nullement nigaud, qui erre parmi les horreurs épouvantables de la Guerre de Trente ans (1618-1648) dans l’Allemagne et la Bohême dévastées par les querelles des Grands qui s’asseyent en forme de prétextes sur le conflit religieux catholiques/réformés. Dans le roman de Grimmelhausen, comme dans le film d’Arthur Penn, il y a cette stupéfaction, cette sidération (dirait-on aujourd’hui) devant la violence et la cruauté de tous mais aussi un regard distant sur les abjections de l’existence et l’incapacité de comprendre vraiment ce qu’est et ce que veut l’Autre.

Ayant écrit cela, je m’en repends tout de suite un peu : Little big man est tout de même, dans sa deuxième partie, un assez vif pamphlet à charge contre la Conquête de l’Ouest et l’expansion des immigrants sur des terres à peu près inhabitées, sinon par des Indiens qui ont de la vie et du temps une conception circulaire et non linéaire et pour qui n’existe pas, ou à peine, la notion de progrès.

Il n’est évidemment pas de mon propos de défendre en quoi que ce soit l’affreuse ridicule figure du général Custer (Richard Mulligan), présenté comme un crétin suffisant bouffi d’orgueil et simplement soucieux de bien disposer en éventails esthétiques ses blondes moustaches. Penn aurait tout de même dû rappeler que c’était un héros nordiste de la Guerre de sécession et ainsi montrer que, devant de telles badernes narcissiques, le Sud n’avait pas tous les torts loin de là. Mais enfin, en contrepartie le trait aurait pu être d’avantage chargé sur Peau de la vieille hutte (Dan George), le vieux chef des Cheyennes qui est nimbé de toutes les vertus (il est vrai qu’il se ridiculise un peu à la fin lorsque, ayant décidé d’être rappelé par le Grand manitou et inondé par l’averse, il constate que la magie ne marche pas toujours).

Toujours est-il que la première partie de Little big man, picaresque et inventive est un régal tout à fait conforme aux récits où le héros, complètement dépassé par l’agitation du monde, est trimballé dans dix aventures aussi catastrophiques qu’improbables. Le jeune Jack Crabb (Dustin Hoffman) est adopté par les Cheyennes après que sa famille a été atrocement massacrée par les Pawnees (pourtant prétendus alliés des Visages pâles) et devient presque un Être humain, selon la cosmogonie ethnocentrée de ses hôtes provisoires ; son retour parmi les siens lui fait découvrir la rigidité presbytérienne du Révérend Pendrake (Thayer David) et la nymphomanie névrotique de sa femme Louise (Faye Dunaway), puis la roublardise du charlatan Merryweather (Martin Balsam).

Des retrouvailles avec sa soeur hommasse Caroline (Carole Androsky) surgira la découverte d’un talent exceptionnel au revolver qui fera surnommer Jack Kid limonade, le roi du revolver ; il n’est pas impossible que la révélation soudaine des talents de pistolero de Jack ait un peu inspiré Robert Zemeckis qui confère à Forrest Gump des talents aussi inexplicables au ping-pong… Rencontre avec la légende de l’ouest Wild Bill Hickock (Jeff Corey), mariage avec la Suédoise Olga (Kelly Jean Peters) qui est, à son tour, enlevée par des Indiens… Etc.

Tout cela est vif, enlevé et assez drôle malgré la sauvagerie latente des terres vierges ; mais on se lasse un peu – dans le même parcours circulaire et répétitif que celui que j’évoquais à propos de la conception du monde cheyenne – de voir Jack retourner dans un tepee glacial où il est, toutefois, sacré gaillard !, réchauffé par la présence coquine de sa femme légitime, Rayon de soleil (Aimée Eccles) et de ses trois sœurs, plus tard atrocement massacrées par les hommes de Custer. Le film bascule alors vers une sorte de noirceur anarchique où Jack est à deux doigts du suicide jusqu’à ce qu’il aperçoive au loin le bataillon de Custer et fomente sa vengeance.

Malgré l’abondance des péripéties, le film n’est pas touffu ; bien sûr parce qu’il dispose d’une durée suffisante pour exposer les aventures de Jack, mais aussi, sans doute, parce que les caractères sont simplistes et les faits exposés avec une fausse naïveté qui est le maître-mot des meilleures roublardises. Penn filme d’excellents acteurs dans des paysages souvent fort beaux et de façon très rythmée.

Un peu long, un peu trop manichéen, ne reculant pas devant la violence des images et des situations, c’est tout de même un excellent film qui confirme le talent de réalisateur d’Arthur Penn.

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