Blue velvet


L’oreille sur la pelouse…

Il faudrait sans doute que je revoie l’admirable Twin peaks pour trouver, dans la comparaison entre cette bourgade et le Lumberton de Blue velvet des analogies éclairantes, ne serait-ce que l’ambiance rouge et bleue ternes des cabarets (le Jack n’a qu’un oeil ici, le Slow club, là).

David Lynch est le cinéaste des profondeurs ; de l’autre côté de ce qu’on voit ; de la face cachée de nos mondes ; de ce qui se dissimule sous l’herbe verte des pelouses, derrière les façades bien léchées, dans les têtes des adolescents sages. Pourquoi Lumberton, petite ville de Caroline du Nord, ne pourrait-elle pas continuer à vivre paisiblement si Jeffrey Beaumont (Kyle MacLachlan), parce que son père vient de faire un infarctus, ne trouvait pas, par pur hasard, une oreille coupée dans un terrain vague et, surtout s’il n’était pas animé par une drôle de soif de savoir, c’est-à-dire de chercher ce qui se cache sous l’apparence ? En soulevant le couvercle des marmites (ou le toit des maisons, plutôt), en allant faire un tour voyeur de l’autre côté des apparences, Jeffrey se donne le plaisir d’éclairer certaines des chambres obscures de sa propre personnalité.

e7Tout cela parce que la contagion est facile. Il a mis sa maladie en moi ! s’écrie Dorothy Valens (Isabella Rossellini) lorsqu’elle fait l’amour avec Jeffrey et lui demande de lui faire mal. Il, c’est ce Frank Booth maléfique (Dennis Hopper) qui la tient, la possède, l’idolâtre et l’abîme ; et qu’elle aime peut-être aussi, parce que les choses ne sont pas si simples que le sens commun et les bonnes mœurs le voudraient.

Tous les amateurs de Lynch vous le diront : il leur suffit de regarder deux minutes prises au hasard d’un de ses films pour en retrouver la puissance et l’atmosphère ; il leur suffit aussi de savoir que le réalisateur ne conçoit pas ses films en forme de récits logiques, cohérents, structurés, mais comme l’expression de flashes, d’idées fortes qui le saisissent et qu’il ne relie qu’ensuite en écrivant l’histoire.

blue velvet 7 dorothyD’où la difficulté – et surtout l’inutilité – d’essayer de saisir et d’expliquer chaque séquence, d’où la présence, ici et là, de scènes absolument frappantes, mais qui ne sont pas indispensables à l’intrigue, de personnages sans nécessité d’existence, mais qui sculptent l’imaginaire.

Je pense là, par exemple au long épisode qui commence par la capture de Jeffrey par Frank et ses acolytes à la porte de Dorothy ; terrorisé, il est conduit dans la maison de Ben (Dean Stockwell), pourvoyeur de drogues (et peut-être de pire encore) de Frank puis entraîné en voiture vers un terrain vague où il est assommé.

blue_velvet_10_aEh bien je n’imagine pas que, si on a vu Blue velvet, on puisse avoir oublié la grande chambre rouge et verte où Ben, homosexuel précieux attend on ne sait quoi, entouré de compagnes abondantes et bien coiffées dont on ne saura rien et qui n’apparaissent que là, presque en arrière-plan ; qu’on puisse avoir oublié ce moment saisissant où Ben, le visage  maquillé, éclairé par une lampe dont il se sert comme d’un micro, fait mine de chanter In dreams de Roy Orbison en une sorte de playback. Je n’imagine pas davantage qu’on puisse avoir oublié la séquence glaçante baroque où Frank frappe au visage Jeffrey, sur la même mélodie de In dreams (« Un clown couleur caramel, qu’on appelle le marchand de sable… »), alors qu’une fille, raflée chez Ben, danse sur le toit de la voiture, au rythme des coups assenés…

Et la séquence où Jeffrey, se glissant une dernière fois chez Dorothy, y découvre Ben trucidé, ligoté, essorillé et Williams, l’inspecteur de police pourri à la veste jaune canari (George Dickerson), le crâne éclaté mais encore un peu vivant, oscillant au moindre souffle…

blue-velvet-6-1024x439Si tous les interprètes masculins sont absolument parfaits, Hopper inouï de violence, MacLachlan, fouineur décontenancé et Stockwell, d’une perversité fascinante, j’ai moins de goût pour les actrices, Laura Dern qui, il est vrai, doit jouer les gourdes et Isabella Rossellini de qui on peut juger qu’il manque la petite étincelle qu’il faudrait donner à Dorothy pour qu’elle emplisse complètement le rôle.

Critique mineure ; comme d’habitude, Lynch nous englue dans sa toile…

 

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