Casque d’or

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Une perfection

On se sent toujours très prétentieux de vouloir ajouter un bout de commentaire aux gloses savantes et subtiles qui, depuis 1952, se sont accumulées sur cette merveille de film, disséqué sur toutes ces facettes, étudié et scruté par tous les étudiants en cinéma, célébré sur tous les tons par les amateurs (alors qu’il fut pourtant mal accueilli par la Critique) et on se demande comment on pourrait bien mettre une couche laudative supplémentaire à une œuvre qui n’en a plus besoin depuis longtemps.

  Cela étant, avec un sens très sûr de la prétérition (la prétérition est une figure de rhétorique consistant à parler de quelque chose après avoir annoncé que l’on ne va pas en parler), je joindrai ma voix à tous ceux qui s’émerveillent devant la sûreté de la conduite des interprètes, devant la virtuosité des mouvements de caméra, devant la reconstitution si fidèle de l’esprit de la Belle Epoque, au point que, malgré l’absence de la couleur, on se sent transporté, dans le tourbillon des valses et polkas des guinguettes dans un tableau de Renoir (Auguste !) ou dans une nouvelle de Maupassant, entre canoteurs de la Marne et de la Seine, apaches des fortifs et petit peuple de Paris. J’ajouterai une mention spéciale à la musique de Georges van Parys qui, comme d’habitude, capte si bien le génie et la substance d’un temps passé.

Quelques remarques, pourtant, sur la distribution.

Le rôle a collé extraordinairement  à une Simone Signoret, qui ne fut jamais aussi lumineuse ; bizarrement, si ce n’était pas la première fois qu’elle jouait les prostituées (déjà dans Macadam de Marcel Blistène, dans Dédée d’Anvers, d’Yves Allégret, dans La ronde, de Max Ophuls) – et sans doute du fait de cette extraordinaire sensualité qui sourdait d’elle -, c’était, je crois, la première fois qu’on la voyait en femme heureuse, surtout dans les si belles scènes de campagne, au lever, lorsque Marie et Manda s’éblouissent littéralement de leur amour, lorsque Marie rêve, dans l’église de village à ce que pourrait être sa vie paisible…

Pour Signoret, Casque d’or est une étape ; vouée à être une pauvre fille malheureuse, une sale garce (Manèges, d’Yves Allégret, Les diaboliques de Clouzot) ou une femme traquée (Thérèse Raquin de Marcel Carné), elle basculera dès la quarantaine atteinte – et avec quel talent ! – vers les rôles d’alcoolique (Les mauvais coups de François Leterrier) avant de vieillir trop vite, pour devenir la Clémence Bouin du Chat ou La veuve Couderc de Granier-Deferre… Peu de lumière, dans cette carrière-là, bien du sombre…

Qui pouvait penser que Claude Dauphin, fils et frère de chansonnier et d’animateur publics, d’amuseurs, en tout cas, recélait une telle potentialité de méchanceté ? Son personnage de Félix Leca, mauvais jusqu’à la moelle, est pourtant impeccablement joué ; et je ne serais pas du tout étonné que ce soit en référence (et en révérence !) à Casque d’or que Andrzej Zulawski ait pensé à lui confier le rôle de l’immonde Mazelli de L’important c’est d’aimer.

Enfin Serge Reggiani ; le fait est que son physique de petite frappe exaltée ne le prédisposait pas à jouer un type aussi positif que Manda. Gouape abjecte dans Les portes de la nuit, il faisait hurler de rire dans Les amants de Vérone, tant son rôle de Roméo ne convenait pas à son front plissé d’une éternelle inquiétude (il est vrai que ce pauvre Cayatte ne faisait pas dans la dentelle). Toujours voué aux compositions d’exalté (Enjolras le révolutionnaire, dans Les Misérables de Le Chanois), de traître (l’imprimeur de Marie-Octobre de Duvivier) de raté (Paul, l’écrivain de Vincent, François, Paul… et les autres de Claude Sautet), positif seulement (et encore !) dans Le doulos de Jean-Pierre Melville, Reggiani trouve dans Casque d’or un rôle tendre, tragique, inoubliable…

Je ne sais si je plains ou si j’envie ceux qui n’ont pas vu cette merveille : de s’en être (encore) privés ou d’avoir (enfin !) la chance de le découvrir…

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