Ces dames aux chapeaux verts

Jurassic park.

Quand les enfants sages lisaient avant tout ce que leurs parents avaient lu, Jules Verne ou Fenimore Cooper, aucun d’entre eux ne pouvait avoir passé au travers de cet immense succès de librairie qui s’appelait Ces dames aux chapeaux verts. Pour son premier roman, son auteur, Germaine Acremant, issue de la bonne bourgeoisie provinciale artésienne et née elle-même à Saint-Omer remportait le pompon : avec les innombrables éditions et rééditions, un million et demi d’exemplaires et des traductions en 25 langues. Une gentille, aimable, délicieuse satire des mœurs provinciales, rien qui puisse choquer, mais du mouvement, de la gaieté, de la fantaisie et, en fin de compte, une histoire qui, après bien des péripéties, finissait le mieux du monde, permettant aux amoureux, timides ou plus émancipés, de se trouver et de voguer vers les doux bonheurs des hyménées réussies.

Ce genre de récits attire évidemment l’œil intéressé des producteurs et réalisateurs de cinéma qui reniflent la bonne affaire et les succès auprès du public familial. Rien d’étonnant que le roman ait donné lieu – tant que la société qu’il décrivait a vécu et est demeurée à peu près compréhensible aux lecteurs et aux spectateurs – à trois adaptations : l’une, muette, d’André Berthomieu en 1929, une autre, de Maurice Cloche en 1937 (que je soupçonne d’être la meilleure, parce qu’elle est dominée par la figure de Marguerite Moreno) et celle que je viens de découvrir, qui est de 1949 et réalisée par Fernand Rivers, qui n’est pas mauvaise, mais tout de même un peu plon-plon.

Qu’est ce que c’est que Ces dames aux chapeaux verts ? L’histoire d’Arlette (Colette Richard dans cette version), jeune Parisienne, vive, gaie, lancée dans le monde qui, à la suite de revers de fortune et de la mort de ses parents est contrainte d’aller vivre dans une province austère, guindée, grisaillante avec ses cousines qui la recueillent, les demoiselles Davernis, vieilles filles confites en dévotion sous la férule rigoureuse de leur aînée, Telcide (Marguerite Pierry). Toute le vie étriquée des quatre soeurs se passe à l’ombre de la cathédrale, ponctuée per messe matutinale à 6h, vêpres et salut, à peine égayée par la visite du Curé doyen et de rares rencontres avec la bourgeoisie audomaroise. Qu’on ne voie rien de sarcastique ou de méchant là-dedans : Germaine Acremant décrivait simplement la vie paisible, mesquine, confite, répétitive de la province française après la première guerre. Car si tant de femmes sont restées vieilles filles, suscitant les sarcasmes des esprits forts, c’est bien aussi parce qu’un million et demi d’hommes avaient disparu sur la Marne, aux Éparges, sur la Somme, aux Dardanelles, creusant une saignée démographique dont notre pays ne s’est jamais vraiment relevé.

Toujours est-il que la jeune Arlette, soumise à l’autorité de la terrible Telcide, mais appréciée des autres cousines, Rosalie (Jane Marken), Jane (Mag-Avril) et Marie (Élisa Ruis), sans pourtant trop regimber, a bien envie d’un peu plus de mouvement ; elle le trouvera grâce à la rencontre qu’elle fera du charmant Jacques de Fleurville (Christian Bertola), mais aussi et surtout grâce au projet qu’elle forme après avoir retrouvé par hasard, dans le grenier des sœurs Davernis, un journal intime : Marie, la plus jeune des quatre a naguère – dix ans auparavant – aimé et été aimée d’un professeur du collège de la ville, Ulysse Hyacinthe (Henri Guisol) ; pour des raisons étroitement bourgeoises, le mariage ne s’est pas fait. Mais voilà qu’Ulysse Hyacinthe revient enseigner au collège : tout l’effort d’Arlette va être de rassembler les tourtereaux.

On le voit, c’est plus gentil qu’haletant. Mais ce n’est pas mal du tout parce que précisément c’est gentil et que ça reflète en miroir bienveillant et nostalgique une France absolument disparue, compassée et coincée, certes, mais tellement paisible et civilisée. Il n’y manque pas même, à l’extrême fin, un assez émouvant propos de la sèche Telcide qui révèle avec délicatesse toute la frustration d’une existence qu’on n’a pas forcément choisie, mais qu’il a bien fallu accepter… Je retrouve ce mot de Victor Hugo (dans Les Misérables) : Il y avait, dans toute sa personne la stupeur d’une vie finie qui n’a pas commencé. Il n’y a pas toujours de quoi rire…

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