Circonstances atténuantes

Pas folle, la guêpe !

On a souvent tendance à placer en parallèle Circonstances atténuantes et Fric-frac. Bien sûr les films sont sortis sur les écrans à peu près en même temps en 1939, le second le 15 juin, le premier le 26 juillet (on voit par là qu’on ne se faisait pas trop de soucis lors de cette année pourtant fatidique : Amusez-vous, foutez-vous d’tout, comme le chantait Albert Préjean). Les deux films braquent leurs caméras sur de braves gens un peu guindés qui, échouant au milieu de bandes de mauvais garçons, y feront découverte d’un monde dont ils n’imaginaient pas même l’existence. Et puis l’un et l’autre ont pour têtes d’affiche deux immenses acteurs, Arletty et Michel Simon.

Quelles merveilles ! L’une dans l’évident uniforme de la goualeuse à la cuisse légère et au grand cœur, l’autre mettant son immense talent dans des rôles inversés, ici d’un mauvais garçon, là d’un magistrat austère, grognon transformé par la douceur d’un visage et le charme d’une dégaine.

Ces ressemblances, qui sont loin d’être négligeables et qui appellent inévitablement à un rapprochement, ne doivent pourtant pas permettre de le pousser trop loin. D’abord par que dans Fric-frac, les deux acteurs majuscules sont flanqués, sinon éclipsés par un troisième dont la fonction scénaristique les surplombe, puisque c’est Fernandel, sur qui l’équilibre du film repose. Puis parce que, dans ce même film, tourné par Maurice Lehmann avec le concours essentiel de Claude Autant-Lara, l’intrigue, si allègre et réussie qu’elle est, demeure d’un grand classicisme.

Le scénario de Circonstances atténuantes me paraît beaucoup plus original. On en perçoit bien sûr les ficelles et les chevilles, mais il se déroule de façon très alerte et il est porteur d’une délicieuse logique. Le grave Procureur Gaëtan Le Sentencier (Michel Simon) et Nathalie, sa femme revêche (Suzanne Dantès) sont projetés par le pur effet du hasard – et de la mauvaise humeur de Gabriel (Robert Arnoux), le chauffeur de leur limousine – dans un boui-boui de banlieue. Y métastasent et s’ennuient toute une troupe de voyous pittoresques abritée par Jules Bouic (Dorville), patron de l’hôtel-restaurant Aux bons vivants, qui joint à son métier d’excellent aubergiste celui, bien plus lucratif, de receleur de tous les trafics.

Coup de baguette magique : par la grâce d’un pot de Beaujolais et de l’arôme d’une gibelotte de lapin, presque à leurs corps défendant, les rigides époux Le Sentencier voient s’envoler par dessus les moulins leurs principes. Et peu à peu – la progression est habilement menée, cohérente, si invraisemblable qu’elle est – ils entrent par une sorte d’osmose dans leur nouveau monde, celui des macs et de leurs dames. C’est peut-être là que le film manque un peu de densité : toute la joyeuse troupe, malgré les beaux surnoms à elle conférée (Môme de Dieu/AndrexCinq de trique/Robert Ozanne, Coup de châsse/Georges Lannes) manque un peu de densité et manque par trop d’être l’idéal faire-valoir du somptueux Le Sentencier, qui va sans grand mal, l’éblouir.

Toute la troupe sauf naturellement Marie qu’a d’ça, c’est-à-dire la lumineuse, éblouissante Arletty, séduisante en liquette et combinaison et peut-être encore davantage costumée en monte-en-l’air, déguisée en garçon, où son charme androgyne, la casquette sur l’œil, fait merveille.

La musique de Georges van Parys est une grande réussite, au point que Comme de bien entendu demeure dans toutes les mémoires de qui s’intéresse un peu à l’époque ; elle est doublée, en broderie, de la mélodie de Un mauvais garçon, du même Jean Boyer. Le film ne s’arrête pas une seconde et multiplie les clins d’œil au spectateur : quelquefois salaces (les claires allusions de l’homosexualité de La poupée, un membre de la bande et accordéoniste (François Simon, le propre fils de Michel), quelquefois d’une délicieuse hypocrisie (la fin du film où tous les malfrats reprennent le droit chemin, y compris La poupée).

Il ne restait plus que cinq semaines avant le début de la Guerre.

Étonnant, non ?, comme disait Desproges.

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