Claire Dolan

La victoire, c’est la fuite.

Tombé là-dessus tout à fait par hasard. J’ignore tout du réalisateur, Lodge Kerrigan. Son nom m’est absolument inconnu et d’ailleurs il n’a pas tourné grand chose pour le cinéma. J’ignore tout autant le nom de l’interprète principale et presque exclusive, Katrin Cartlidge, dont j’apprends ensuite qu’elle est morte, très jeune, à 41 ans, en 2002, d’une pneumonie doublée d’une septicémie. Qu’est-ce qui me retient, alors qu’il y a tant d’autres films à voir ou à revoir ce soir-là ? D’abord le titre, Claire Dolan, dans sa grande sécheresse mais aussi sa belle harmonie euphonique. Et puis, dès les premières minutes, une certaine austérité de l’image, une façon froide, clinique, janséniste de filmer l’existence d’une call-girl de New-York.

 Des films où les tristesses, les désespoirs, les horreurs, les routines (peut-être surtout les routines) de ce drôle de métier là, il y en a des kyrielles. Certains sont dramatiques, angoissants, émouvants, terrifiants ; d’autres égrillards, ou bon-enfant, ou résignés. Certains montrent l’ensevelissement, la déchéance, l’abomination, d’autres le sursaut, le sauvetage, la rédemption. Si on éprouve un intérêt particulier pour le sujet, on doit pourvoir se fabriquer 365 soirées différentes sur le même thème et ses pseudopodes.

Ce n’est pas mon cas. Mais là j’entre tout de suite dans la vie de Claire Dolan, qui passe des coups de fil aux noms successifs de son carnet d’adresses comme elle le ferait si elle était démonstratrice Tupperware. Et forcément, ça accroche bien un des clients habituels, qui ce soir précis a le temps, ou l’envie, ou le vague-à-l’âme ou quoi que ce soit. Les mots qui se disent, si précis et crus qu’ils peuvent être (J’ai envie que tu sois en moi) n’abusent évidemment personne et font partie du rituel. La somme à régler est rappelée presque incidemment et personne n’a le mauvais goût d’en discuter le montant. On sait ce qu’on pourra obtenir (et pas davantage) pour la somme convenue.

Régulièrement, Claire Dolan va, dans un bistro anonyme, remettre sa redevance à Elton Garett (Vincent d’Onofrio) qui parait avoir aussi peu d’affectivité qu’elle et se contente de percevoir ce qu’il appelle le remboursement de la dette. Car, au fait, on ne sait rien, ou à peine, de Claire et de son maquereau. On ne sait pas ce que la femme a pu faire auparavant, comment elle est tombée dans la prostitution, ce que c’est que cette dette qui lui est rappelée, sans insistance mais avec une fermeté qui ne laisse pas de place à la discussion. Tout cela est aussi froid et glaçant que la lumière hivernale de New-York, l’indifférence de tout le monde, les perspectives de l’existence.

Sauf que voilà que la mère (Muriel Maida) de Claire va mourir, vient de mourir. Solitude absolue de l’inhumation où Claire est seule avec le prêtre. Prise de conscience ? Rupture désormais possible puisque la seule qui avait encore besoin d’elle vient de disparaître ? Ce n’est pas très clair mais il n’est pas nécessaire de comprendre davantage. Claire essaye de changer de vie, de devenir coiffeuse. Bernique ! Elton le mac sait où la retrouver et veut clôturer les remboursements. Et parallèlement il y a une rencontre amoureuse, en tout cas différente avec un conducteur de taxi Roland Cain (Colm Meaney). Ça pourrait peut-être marcher si Claire, née pute, qui mourra pute n’avait pas compris qu’avant tout il faut fuir. Se retrouver ailleurs. Dans un autre monde. Moins désespérant ? on verra bien.

Katrin Cartlidge est absolument magnifique. Rien de classique ni d’attrayant dans son allure ; un visage fermé, difficile, muré. Mais aussi une force de séduction qu’on devine extraordinaire, violente, bouleversante pour ceux qui l’approchent. Un film vraiment étrange, intelligent, distant, glacé.

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