La taverne de l’Irlandais

Cuando calienta el sol.

On a peine à reconnaître dans ce gentil gâteau sucré à la noix de coco le cinéaste de qualité qui a donné à l’écran un des plus beaux westerns classiques qui se puisse, La prisonnière du désert et quelques autres films qui ne manquent pas de force, La chevauchée fantastiqueLa charge héroïque ou Mogambo. Je n’irai pas jusqu’à écrire que La taverne de l’Irlandais m’a fait songer aux Aventures dans les îles, feuilleton étasunien où triomphaient la plastique avantageuse et le sourire éclatant du Capitaine Troy (Gardner McKay) mais enfin on sait bien qu’en prenant pour décor la beauté alanguie des contrées du Pacifique sud, la douceur coquine des mœurs de leurs natifs et la propension anglo-saxonne à la castagne de bars, on ne court pas grand risque.

J’ai vu beaucoup de films que je pourrais dire cousus de fil blanc (c’est-à-dire absolument prévisibles de la première à la dernière image) mais celui-là n’est pas loin de remporter le pompon. Je ne dis pas que c’est désagréable, c’est plutôt bien filmé (comment faire autrement avec de si beaux paysages ?) et les acteurs font très honnêtement leur boulot. D’ailleurs chacun d’entre eux est absolument l’archétype de ce qu’on peut – ce qu’on doit – penser qu’il doit être : John Wayne, marmoréen, massif, fruste mais qui parviendra à ramasser la mise (la plutôt charmante Elizabeth Allen), Lee Marvin buté, fermé, bagarreur et amateur de bitures profondes et de filles faciles et même notre cher Marcel Dalio en prêtre à cœur sur la main.

Le scénario de cette Taverne est un des plus niais que je connaisse (ce qui n’est pas grave en soi) : Amelia Deedham (Elizabeth Allen) qui détient la majorité des actions d’une grande compagnie commerciale bostonienne se charge d’aller vérifier si son père, William (Jack Warden), médecin, qu’elle n’a jamais vu parce qu’il vit dans une île polynésienne depuis la Guerre, est bien digne de recevoir en héritage un gros paquet d’actions qu’il hériterait d’une de ses parentes. Il faut dire que la société puritaine de Boston, ce n’est pas de la gnognote. Le diplomate Henry Cabot-Lodge, issu d’une de ces grandes familles de la côte Est arrivée avant l’indépendance des États-Unis aimait à citer cet aphorisme délicieux : À Boston, les Cabot ne parlent qu’aux Lodge et les Lodge ne parlent qu’à Dieu. C’est dire. Donc Amelia, empreinte de toute la respectabilité possible débarque dans l’île où son père, sans jamais lui donner signe a refait sa vie. D’une indigène, fille d’un Roi coutumier, il a eu trois beaux enfants, Lelani (Jacqueline Malouf), Sally (Cherylene Lee) et Luki (Jeffrey Byron) dont le dernier-né a couté la vie de sa mère.

Pour éviter un choc familial trop fort et alors même que le médecin William est en tournée dans les atolls voisins, il est convenu que les trois marmots passeront pour être les enfants de Michaël Donovan (John Wayne), patron de la taverne du coin, de façon que leur demi-sœur Amelia ignore qu’elle n’est pas fille unique. Il est absolument évident que l’exaspération mutuelle ressentie d’emblée par Amelia et Michaël est le gage certain qu’au bout de quelques escarmouches, ils se jetteront dans les bras l’un de l’autre, que le docteur Deedham gardera à ses côtés sa grande fille et ses trois poussins, que l’excellent prêtre Cluzeot/Dalio verra le toit de sa chapelle restauré et ainsi de suite. Il est à noter que la scène où Wayne apprend à Elizabeth Allen qui portera la culotte dans le ménage, en la fessant publiquement susciterait aujourd’hui des manifestations féministes indignées.

Pourquoi pas ? On n’a rien contre les films gentils, où tout se termine bien par une série de coups de baguette magique et où même les manœuvres détestables du représentant de l’autorité française sur l’île, le marquis André de Lage (César Romero) qui guignait les millions de la belle Amelia sont rapidement éventées. Agaçant, au demeurant de voir que le bouseux Irlandais John Ford pouvait avoir sur nous un regard aussi faux que ridicule.

Mais enfin, quand on prend tant et tant de plaisir à filmer des bagarres de bistrots considérées comme un des Beaux-Arts, qu’attendre de plus ?

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