Cocagne

En roue libre et en pente douce.

Un très ennuyeux film qui démontre, s’il en était besoin, aux nostalgiques que le cinéma d’avant connaissait lui aussi de bien médiocres compositions…

Ça commence, et c’est le moins mauvais, par une de ces nombreuses provençalades qui sont entièrement tournées sur la galéjade, le pastis, les parties de boule, les engueulades amicales et portées par un groupe de comédiens blanchis sous le harnais. Et en premier lieu, bien sûr, par Fernandel dont la seule présence assurait aux producteurs et distributeurs un confortable petit noyau de spectateurs prêts à marcher et à se rendre dans les salles sur le seul nom de l’acteur. Et d’ailleurs il y a eu presque deux millions de gogos qui se sont laissé avoir.

Pour Cocagne, en deuxième rideau on a encore droit à des étoiles de bonne magnitude, Rellys et Andrex, mais le reste de la distribution est plutôt étique : Paul PréboistEdmond Ardisson, José Casa, Pierre Mirat… Il est vrai que, en 1961, quand le film est tourné, les plus grands, Fernand CharpinMarcel Maupi ou Édouard Delmont sont morts ou sans doute un peu trop onéreux (Robert VattierCharles BlavetteFernand Sardou).

On sent, ce qui n’est pas désagréable en soi, que Cocagne est un film à petit budget, tourné à la va-vite, sur la base d’un mince roman d’Yvan Audouard. Mais – je ne cesse de le répéter – ce qui peut passer, grâce à la magie des mots dans un livre peut ne rien donner sur l’écran. En fait dans Cocagne on se laisse assez paresseusement aller, avec un demi-sourire assez résigné, à un enfilage de lieux communs et à la représentation de situations caricaturales sur la douceur de vivre du Midi et sa flemme endémique. Le film se passe dans la belle ville d’Arles et met en scène un conducteur de camion-poubelle, Marc-Antoine (Fernandel) qui avec son équipe de bras cassés sillonne chaque matin les rues avant de se retrouver dans le café La petite douane dont le patron est Amédée (Andrex). Café dont la gloire immarcescible est de posséder, solidement protégé dans une sorte de retable, un tableau représentant les avantages charnus de la Fanny qu’il faut baiser à genoux lorsqu’on perd aux boules.

Marc-Antoine est une sorte de tyran régnant de façon tonitruante aussi bien sur ses aides éboueurs que sur sa petite famille, bien sage et bien obéissante, Mélanie, sa femme, d’origine italienne (Leda Gloria), son grand garçon très sérieux Claude (Paul Boussard) et son ado déjà rêveuse Augusta (Marie-Thérèse Izar). Il est l’ami d’enfance de tous ceux qui l’entourent et plus encore celui de Septime (Rellys) qui a une belle manade dans la Camargue toute proche. Et il est admiré pour on ne sait trop quelle raison par la serveuse du bistro d’Amédée, qui s’appelle Hélène et qui revêt les formes pulpeuses de Dora Doll. Se greffe là-dessus, comme des cheveux sur la soupe, une histoire d’amour impossible entre la riche Mireille (Josette Jordan) et son amoureux le pauvre immigré italien Vincent (Roberto Risso).

Jusque là, on est vraiment dans la seconde zone, mais enfin on se laisse faire. Seulement rupture aussi brutale que ridicule à la moitié du film. Le tableau qui faisait la gloire du bistro d’Amédée a été volé au grand désespoir du patron. Marc-Antoine, qui est doté d’un joli coup de crayon, entreprend de dessiner une belle paire de fesses. Sa femme imagine que ce sont celles de sa vraisemblable maîtresse. Le couple se sépare et Marc-Antoine quitte le foyer pour produire des Fanny qui remportent bientôt un immense succès et lui valent argent et renommée.

Je renonce à décrire la suite, qui est d’une bêtise absolue et qui s’achèvera sur la conclusion très morale du renoncement du bonhomme à la gloire et à la fortune au bénéfice des valeurs traditionnelles. Et ceci au grand dam d’Hélène/Dora Doll tout enflammée d’ardeur artistique. On confine là au pire mélodrame larmoyant et on se confirme dans l’idée que Dora Doll était faite pour jouer le drame comme moi pour affronter Teddy Riner en finale olympique…

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