Michel Strogoff

Le royaume de Borée.

Ah là là, qu’est-ce que les petits enfants de France ont pu rêver aux steppes infinies, aux verstes, au knout, aux boyards, aux moujiks, aux isbas, aux cosaques, à la Sainte Russie, à tout ce que l’exotisme proche, à la fois inquiétant et séduisant qu’offrait cet immense pays qui les fascinait et qui était fasciné par nous ! De Pierre le Grand qui vint chercher à Versailles l’inspiration de Saint Pétersbourg à Alexandre III pour qui fut bâti un  des plus extraordinaires ponts de Paris, voilà une histoire d’amour confondante, à quoi Michel Strogoff n’est pas étranger !

Un livre écrit pour une visite à Paris du Tsar Alexandre II en 1876. Un des plus grands succès littéraires  de Jules Verne. Et voilà qu’en foule par le film de Carmine Gallone reviennent à la mémoire, après une diffusion télévisée, la mission du courrier du Tsar, le traître Ivan Ogareff (Henri Nassiet), Tomsk, Irkoustk, la Sibérie, les hordes tartares, regarde de tous tes yeux, regarde !, les pages fiévreusement lues et relues, les bayadères ondoyantes, la voix grave de Geneviève Page, les facéties assez ridicules de Jolivet-Jean Paredes, la stature marmoréenne de Curd Jürgens

Eh bien, comme souvent, dans ces films statufiés par le souvenir des dix ou douze ans qu’on avait quand on les découvrait, ce n’est vraiment pas terrible… voilà qui paraît aujourd’hui niais, enfantin, marqué par un manque de moyens trop sensible : les batailles dans les steppes font un peu purée, et les camps asiatiques, qui devraient recouvrir des hectares et des hectares semblent désormais se confiner à de tout petits périmètres.

Et voilà ce qui nous faisait rêver….

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Comme j’ai revu le film de Carmine Gallone, je révise un peu à la hausse la note trop sévère donnée naguère. Je confirme certes que les mouvements de foule sont peu satisfaisants et que les combats à cheval sont à la limite inférieure du ridicule : là où il faudrait un montage vif et même violent, avec plein de plans de coupe, la caméra reste sottement braquée sur des vues d’ensemble et on voit bien que les figurants, une fois au contact les uns des autres ne savent plus que faire de leurs lances et de leurs sabres. Et là où on aurait pu s’attendre à voir filmés de superbes paysages, plaines, toundras et taïgas, on n’a qu’un service vraiment minimum. Et puis le récit est trop resserré et une bonne demi-heure de plus n’aurait pas été superflue.

Et puis – reproche majeur – le film ne donne pas la merveilleuse explication trouvée par Jules Verne pour expliquer que Strogoff n’ait pas été aveuglé par la lame chauffée à blanc des barbares Tartares. De façon très romanesque le film en attribue tout le mérite à la favorite Natko (Françoise Fabian) du cruel Feofar Khan (Valery Inkijinoff), alors que ce n’est pas du tout ça : voyant sa mère aux derniers stades de l’épuisement et contemplant la beauté de la terre russe, les yeux de Strogoff se remplissent de larmes ; et ces larmes, se volatilisant sur la cornée, ont fait écran, et annihilé l’effet de la chaleur.

Mais il faut dire, en revanche, beaucoup de bien de l’interprétation très marmoréenne que donne Curd Jürgens du personnage de Strogoff, sorte de butor courageux, obstiné, voué obstinément à sa mission, qui n’a aucun état d’âme, aucun scrupule particulier, qui est une sorte de machine efficace. Curieux destin, au demeurant que celui de cet acteur, qui, jusqu’alors un peu confiné à des films allemands d’après-guerre sans aucune diffusion extra-germanique, venait d’acquérir une certaine notoriété grâce à un film tout à fait différent, mais d’une grande importance mémorielle : et Dieu… créa la femme de Roger Vadim. Il a ensuite représenté une des figures les plus remarquables du séducteur aux tempes grises. il est en tout cas tout à fait excellent.

Le reste de la distribution, hormis Jean Parédes toujours trop glapissant, est de bien bonne tenue. La voix de Geneviève Page est un peu moins grave, un peu moins bien modulée qu’elle le sera plus tard, Sylva Koscina est aussi troublante que d’habitude, la jeune Françoise Fabian est magnifique et ainsi de suite (Michel Etcheverry, Louis Arbessier, Henri NassietJacques Dacqmine).

On est en tout cas in fine bien content que la belle ville d’Irkoutsk soit préservée ; dans le livre par l’arrivée inespérée des armées du Tsar ; dans le film par une sorte de mer de feu lancée contre les bateaux tartares sur la rivière Irkout grâce aux nappes de naphte qui sont proches de la ville…

De l’Est nous viennent toujours de drôles de miasmes…

 

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